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la dernière voiture avec un drap blanc, qui attend son tour à la porte du cimetière Montparnasse ; c’était l’enterrement de cette petite… Il y en avait, ce jour-là, des enterrements ! ça faisait de l’encombrement pour entrer… »

Il se relève lentement, tandis que Barral et moi nous restons assis par terre, en silence. Sa voix traînante a un peu vacillé ; un pli douloureux creuse le coin de sa bouche. Il se redresse brusquement, enfonce les deux mains dans les poches de son pantalon en velours marron sale et conclut avec un petit rire forcé :

« C’était tout de même pas ordinaire, Paris, dans ce temps-là ! À la porte des boucheries, on faisait queue pour venir chercher de la viande ; et puis, à la porte des cimetières, on faisait queue pour en apporter… »

Tandis que la nuit bleue envahit tout doucement l’atelier, spectral dans sa blancheur nue, j’écoute distraitement Barral raconter avec animation qu’il a gagné trente francs à mouler une statue pour un camarade, et qu’alors, du coup, il va se payer un ouvrage épatant sur l’œuvre de Rops : « une machine qui vaut quarante francs, mon cher ; je l’aurai à vingt-cinq chez un bouquiniste de la rue Dau-