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air, un jeune homme s’offre à la vue des visiteurs. Il est debout devant une table à toilette, que surmonte la Victoire de Samothrace en plâtre, sur un petit support ; il a défait sa chemise et ses bretelles, et, armé d’une serviette-éponge, se frotte vigoureusement les aisselles. Il ne se dérange pas à notre aspect. Nous traversons la cour, provoquant des fuites effarouchées de poules et de poussins ; et nous grimpons un escalier extérieur de chalet savoyard qui nous conduit au dernier étage de l’étrange bâtisse. Barral frappe à une porte, donnant sur un palier où deux autres lui font face ; puis, sans attendre la réponse, il entre dans un vaste atelier absolument nu. Un homme est assis par terre devant un poêle, en train de fabriquer quelque chose, au milieu de cinq ou six chats qui se rissolent béatement le ventre au feu. Il se lève sans hâte, et nous regarde.

D’après le portrait que m’en avait fait Barral, je m’étais figuré une manière de « tête de Christ », c’est-à-dire le beau garçon maladif, à longs cheveux, à barbe blonde et aux yeux pochés de bistre, qu’on a une fois pour toutes, et assez sottement, adopté comme matérialisation de l’image du Christ… Je me trouve devant un homme dans les trente-cinq ans, qu’on pourrait prendre aussi bien pour un accordeur