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violacés dans les chairs, qui le font, paraît-il, traiter d’anarchiste par beaucoup de ses confrères. S’il fait beau demain, la séance aura lieu sous un sapin du jardin. Pendant tout ce temps, le frère aux photographies s’est tenu coi, sans lâcher une syllabe. Du moment qu’on ne parle plus de ses temples khmers ou norvégiens, ça ne l’intéresse pas. Il paraît que cet être éminemment inoffensif a été vaguement architecte autrefois ; puis, dessinateur ornemaniste ; mais depuis longtemps il ne fait plus rien du tout.

À sept heures et demie je me lève, malgré les protestations de mes affectueux hôtes, qui n’ont pas d’heures fixes pour les repas, et qui resteraient parfaitement jusqu’à dix heures du soir à disserter de choses sereines, dans le brouillard bleu des cigarettes. Pierre Rousset me guide à travers l’obscurité du jardin, qui sent le terreau et les feuilles mortes, en tenant une vacillante lampe pigeon. De nouveau, s’élève sa petite voix douce et précipitée :

« Il y a un moyen épatant pour aller en Norvège ; c’est de passer par l’Écosse. Il y a des bateaux charbonniers qui font le trajet en trois jours jusqu’à Glasgow ; on emporte une boîte de corned-beef, des harengs saurs, et on couche dans l’entrepont sur un matelas qu’on loue au maître-coq… Le port de