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aussi lancinants et mélancoliques… Je m’arrête dans l’emballage minutieux d’une boîte à savons et colle mon front à la vitre froide, regardant, d’un œil stupide qui ne voit pas, le défilé dansant des petites lumières jaunes et rouges sur les quais miroitants…

Oh ! ceci est un fait exprès, sûrement, venu à point pour détremper le peu qui me reste d’empire sur moi-même… Voici qu’en bas, dans la cour de l’hôtel, s’exhalent plaintivement les notes surannées d’un orgue de Barbarie ; il doit être bien vieux celui qui le fait marcher, car depuis une vingtaine d’années déjà on ne donne plus de nouvelles autorisations aux joueurs d’orgue des rues… Et, tout juste, celui-ci se met à moudre la rengaine qui m’obsédait cité Montparnasse :

« Faites-lui mes aveux… Portez mes vœux… »

Je me laisse tomber sur le divan, tout encombré de papiers d’emballage, les coudes sur les genoux… Me voici impitoyablement ramenée à la fenêtre de ma chambre, qui ouvrait sur le jardinet bordé de lilas, déjà un peu poussiéreux de l’été commençant, et de troënes au parfum aigrelet ; à côté de moi, le merle du concierge siffle dans sa cage ; Rousset, en manches de chemise, taille sa vigne vierge ; et voici Marcel Barral qui s’avance, avec un sourire un peu gêné,