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Oui, elle connaît mon nom ; elle l’a lu dans la Revue des Deux-Mondes. La mauvaise humeur de son visage a instantanément disparu derrière le masque de sourire mondain qu’on arbore pour parler à n’importe quelle personne qui n’est ni de votre famille, ni de vos subalternes. Tandis que mon gant de « satin Suède » serre son chevreau glacé, et que nous échangeons quelques phrases soigneusement banales, je la contemple sans bienveillance. Elle est de ces innombrables Parisiennes dont on dit qu’elles ne paraissent vraiment pas leur âge, mais qui l’ont bien tout de même. Ses traits sont assez beaux ; la bouche mince est soulignée d’un rouge éclatant ; son teint de brune simule ce rose carminé qui a tout juste l’air naturel sur les honnêtes visages du Nord ; ses cheveux, évidemment châtains, jaillissent des deux côtés d’une toque de zibeline, en touffes de bouclettes d’un acajou cyniquement faux. Elle m’arrondit des phrases aimables, d’une voix au timbre fêlé :

« Si vous voulez voir l’atelier de votre ancien ami, Madame, faites-nous le plaisir de venir, de mardi en quinze, prendre une tasse de thé ; vous avez peut-être entendu parler de mes mardis littéraires ?… J’ai, chez moi, tous les quinze jours, une audition de poètes du front ; c’était une bonne œuvre, n’est-ce