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mystérieux langage. Les exhalaisons rustiques ou faubouriennes de toute cette ménagerie humaine commencent à devenir vraiment agressives. Je me glisse dehors, sur le terre-plein que balaye un vent de plage. À l’angle d’un mur de planches, contre lequel il appuie un petit panneau, un artiste peint hâtivement, vêtu d’un veston de velours à côtes, éraflé de longues taches multicolores. Je m’immobilise à une distance suffisamment polie derrière lui et je contemple le carré de bois, où il silhouette, à moitié de mémoire, évidemment, les Bretonnes s’engouffrant sous le portail, leurs mantes gonflées de vent, pointant en avant de massifs parapluies faits pour résister aux plus furieux embruns ; les mendiants, les petits marchands de chapelets ; et, derrière cette vision celtique, l’immensité grise des toits parisiens, moutonnant dans la brume, comme un océan figé par un gel fantastique. Puis, je regarde distraitement le peintre, dont j’aperçois le profil derrière les poils ébouriffés d’une barbe poivre et sel ; et j’éprouve un petit choc d’émotion… Il recule de deux pas ; je vois alors qu’il boite un peu…

« Monsieur Cardoc, dis-je en avançant de son côté, la voix forcée à être calme, est-ce que vous me reconnaissez ? »