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survivantes du village de Vaugirard, derrière la gare Montparnasse. Je traverse un jardinet noir, au gravier rayé d’un halo fauve, provenant d’un vitrage d’atelier. J’arrive, en même temps que cinq ou six personnes peu somptueuses, au seuil d’un atelier de vastes dimensions ; un grand barbu en bras de chemise est là qui serre la main des arrivants. Il me fait entrer avec un large sourire lorsque je lui dis que je suis une amie de Mlle Rousset.

L’atelier où je pénètre est badigeonné d’un blanc cru ; mais des taches violentes éclatent sur ses murs. Ce sont de grands tableaux représentant — ou à peu près — la face d’un Christ contemplant un champ de bataille ; encore un Christ nébuleux, au milieu d’une foule agressive qui se rue à l’assaut du métro ; et puis, des hommes et des femmes nus, très laids, batifolant sur des prairies bleu de prusse. Dans un angle, à côté du poêle, un piano sur lequel sont ouvertes des partitions de Stravinsky ; au milieu de la pièce, deux longues tables, ripolinées en orange clair, où le couvert est mis. L’une d’elles porte la sébile où, en s’asseyant, chacun doit déposer les trente sous de sa cotisation au dîner. Autour de moi fument et bavardent une quinzaine de personnages dont l’allure ne diffère pas sensiblement de celle des habitants