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ches, où de paisibles moutons broutent tout près de moi, des points multicolores sautillent et bondissent en poussant des hurlements d’otaries. Ce sont les « pantalons blancs » de Selwynn College, qui viennent de gagner la partie de foot-ball contre les pantalons à raies rouges de Trinity College. Deux ou trois de ces jeunes gaillards, blessés dans la bousculade du jeu, traversent la prairie à cloche-pied, un rire enfantin élargissant leurs faces imberbes et cuites de soleil.

Alors, l’âme française qui venait de ressurgir dans ma mémoire me fait tout à coup songer — je ne sais trop pourquoi — à un beau fruit de serre ; un de ces fruits à la chair délicate, vanillée, sentant le miel… Les étrangers, comme moi — puisque, partout, je suis une étrangère — qui avaient autrefois respiré son arome, en gardaient toujours la gourmande nostalgie. Mais il mûrissait singulièrement vite, le beau fruit ; peut-être même sa pulpe se meurtrissait-elle déjà, par endroits, d’imperceptibles taches brunes… Et si un des carreaux de la serre, brisé par un ouragan, laissait un jour passer un coup de vent glacé, comment supporterait-il un pareil choc ?…