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par le crayon noir qui retroussait le coin des yeux. Des grappes de raisin alourdissaient la chevelure. Le corps sinuait souplement, d’une rare élégance, à peine ceinturé de pampres. Et au coin de la photo s’étalait cette phrase, tracée en larges caractères presque typographiques : « Pour le très cher Ralph Wilmore, — Lucien Rousset. »

Lucien Rousset ! Quel sursaut d’étonnement devant ce nom surgi d’une fosse d’oubli, si ancien déjà…

« Vous connaissez la famille de ce garçon, Wilmore ? Est-il fils d’un peintre ?

— Oui ; son père est peintre, mais je ne le connais pas. Il demeure avec lui et un vieil oncle original. Je crois que sa mère est morte.

— Ah !… Quel âge a-t-il ?

— Vingt ans et quelques mois. Il va partir en octobre pour son service militaire. N’est-ce pas une pitié ? Ce délicieux garçon en uniforme rouge et bleu… des couleurs criardes, horribles… »

Je regarde fixement la photo. Je regarde aussi Wilmore. Ses prunelles gris d’acier sont d’infranchissables remparts qui ne laissent rien filtrer, et ne se laissent percer en rien. Wilmore est un véritable gentleman ; jusqu’au tombeau il gardera la même correction impassible, et devant Dieu lui-même il