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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

pourrait effrayer que des coupables. Le Canadien entra donc armé et redoutable dans l’arène de la publicité. On cria à la révolte, à la trahison et le reste, mais il poursuivit son chemin avec courage, jusqu’au jour où la main d’un pouvoir ombrageux s’abattit sur lui et l’écrasa. Parlant de ces luttes dont nous sommes fiers à juste titre, M. de Gaspé écrivait, cinquante ans plus tard : « Je regarde de tous côtés, j’écoute de ma bonne oreille, je lis les journaux de mes deux bons yeux ; tout me frappe d’étonnement, et je dis à part moi : Que les temps sont changés depuis ma jeunesse ! Chacun donne aujourd’hui son opinion ouvertement, discute, sans crainte, les questions politiques les plus délicates, blâme l’Angleterre, loue la France, et tout cela impunément. Celui qui eut osé prendre cette licence autrefois, aurait été considéré comme un French et bad subject, c’est-à-dire Français et sujet déloyal. On ne se parlait alors que dans le tuyau de l’oreille. Les journaux d’à présent discutent dans leurs polémiques l’avantage ou le désavantage d’une annexion du Canada à la République des États-Unis et leurs éditeurs sont des British and loyal subjects ! (Anglais et sujets loyaux), on doit au moins le penser, car notre bon gouvernement semble admirer ces gentillesses. Les autorités d’autrefois auraient pris la chose plus au sérieux : éditeurs, rédacteurs, collaborateurs, auraient gambillé au bout d’un cordeau ; et afin de s’assurer s’ils étaient bien et dûment morts, on aurait brûlé leur cœur sur un réchaud, et séparé leur tête de leurs épaules. Ô le bon vieux temps ! »

Le journalisme était muselé en Europe et en Amérique. Nous avons eu le courage, les premiers en Canada, de penser tout haut dans l’intérêt du peuple. Ceux qui combattaient contre nous le faisaient dans l’intérêt d’une certaine classe. Le danger existait pour nous, non pour eux. Aujourd’hui, nos compatriotes anglais se félicitent d’avoir des journaux qui ne craignent rien. Autrefois, dans les moments de danger, c’était nous qui bravions un pouvoir aveuglé.

Les fondateurs du Canadien étaient Pierre Bédard, J.-L. Borgia, François Blanchet, J.-T. Taschereau, Louis Bourdages et Joseph Planté, tous membres de la chambre. Le premier rédacteur mentionné (31 janvier 1807) est Antoine Bouthillier, mais les articles n’étaient pas signés. Charles Roi en était l’imprimeur, rue Saint-François. Le grave et le léger se mariaient dans les pages du journal. Il mordait en riant. Le Mercury entrait dans des rages terribles devant ce ton badin et il répondait par des bourrasques de gros mots qui lui attiraient de nouveaux quolibets.

L’inspirateur du Mercury était l’honorable Jonathan Sewell, procureur-général et avocat-général, U. E. Loyalist émigré du Massachusetts au Nouveau-Brunswick en 1785 puis au Canada en 1789 ; en 1808 il devint juge en chef de la province et président du conseil législatif ; jusqu’à 1838, il n’a cessé de combattre les Canadiens dans les affaires publiques.

Les Chouaguens, avec le juge de Bonne à leur tête, ne pouvaient plus décemment rester au Mercury après l’apparition du Canadien, néanmoins ils ne voulaient pas paraître battus. Au mois de janvier 1807, ils lancèrent le Courrier de Québec, sous la rédaction de M. Jacques Labrie, médecin, homme d’étude et déjà possesseur de nombreux documents sur l’histoire du Canada, dus à ses recherches, et qu’il commença à utiliser dans ce journal mais