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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

supprimées. Le Saint-Laurent se trouve balisé, la vapeur a démodé les bâtiments à voile, les chemins de fer remplacent le vieux système de roulage et vont plus loin que les traîneaux et surtout plus vite ; l’obstacle matériel a disparu.

Anbury demandant des pommes de terre à un habitant de la baie Saint-Paul, reçut cette réponse « Je suis bien fâché mon cher monsieur, de ne pouvoir comprendre ce que vous souhaitez ». Lorsqu’on eut expliqué à ce brave homme qu’il s’agissait de « patates » il mit son champ à la disposition de ses hôtes.

« Depuis la fondation du Canada, continue le même voyageur, on s’est plaint que cette colonie n’enrichissait pas la France ni aucun de ses habitants, mais seulement les commerçants de fourrures. Ce n’était pas la faute du pays, qui abonde en ressources et des choses de première nécessité. On peut attribuer la pénurie en question à l’état de guerre continuelle entre le Canada et la Nouvelle-Angleterre ; à l’oppression du gouvernement et à la rapacité du clergé, toutes causes qui tenaient les colons en arrière et les empêchaient d’élever leur ambition au-dessus du niveau ordinaire, c’est à dire payer les dîmes aux curés et amasser quelque chose pour la saison d’hiver. À présent la situation est changée. On rencontre partout des moulins à scie, des moulins à farine ; les Canadiens exportent du bois et des grains aux Antilles et aux provinces maritimes… Je me demande pourquoi les Français tenaient le Canada dans cet état d’infériorité… Avant 1755, les habitants exportaient de grandes quantités de blé et autres grains dans les provinces anglaises et aux Antilles. »

La construction des navires commença à Québec sur un grand pied vers 1790. Les guerres qui suivirent, durant un quart de siècle firent prospérer cette industrie. La Rochefoucauld écrivait en 1795 : « Le commerce du Canada emploie environ trente bâtiments pour ses importations et ses exportations. C’est seulement avec l’Angleterre, et par elle qu’il a lieu. Un état de la douane pour 1786, qu’a obtenu M. Guillemard, porte les exportations à 325,116 livres monnaie d’Halifax, et les importations dans la même année à 248,262 ; il y avait dès lors une très grande quantité de grains exportés. Elle est sûrement accrue aujourd’hui, et par l’augmentation quelconque de la culture même du Bas-Canada, et par la plus grande augmentation de celle du Haut-Canada. On estime aujourd’hui à 400,000 boisseaux la récolte générale du blé dans le Bas-Canada, qui en consomme les trois quarts. Le commerce des fourrures a son principal entrepôt à Montréal. Tous les vaisseaux qui font le commerce du Canada sont anglais ; aucun n’appartient aux négociants du pays, au moins ils n’en ont qu’un très petit nombre qui se construisent à Québec, encore sont-ils employés au commerce d’Europe. Il ne se bâtit d’ailleurs dans toutes les possessions anglaises en Amérique d’autres vaisseaux qui naviguent sur les lacs ; à Halifax même on radoube, on répare, mais on ne construit pas. La navigation européenne est interdite en Canada à tout autres vaisseaux qu’aux vaisseaux anglais, d’où il arrive que quand la navigation dans ce pays est interrompue ou retardée, on y est dans la disette entière des denrées européennes. Cette année 1795, par exemple, où les vaisseaux qui communément arrivent vers le 15 mai ne sont arrivés que le 20 juillet, les magasins étaient vides dans tout le Canada ; il n’y avait pas dès le 1er juillet, une seule bouteille de vin à vendre à Québec ni à Montréal, pas une aune de drap… Les