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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

tons ne sauraient être beaucoup changées. Quant à l’esprit de l’histoire, il est digne de remarque que la période comprise entre 1760 et 1880 n’offre pas beaucoup d’attrait aux écrivains Canadiens-Français. C’est toujours la même lutte entre le sentiment anglo-saxon et la liberté canadienne. L’ancienne colonie française avec ses guerres continuelles, ses voyages de découvertes, ses habitants satisfaits de peu, semble avoir disparue après la conquête. À partir de ce moment, les scènes « américaines » sont reléguées dans l’oubli. Tout un passé s’éloigne du lecteur. L’intérêt se concentre sur les bords du Saint-Laurent, entre Montréal et Québec. Si nous sommes tentés parfois de suivre de l’œil les Canadiens émigrant aux États-Unis ou au nord-ouest, c’est pour constater avec douleur l’abandon du sol natal. Jadis, sous les Français, celui d’entre nous qui partait de sa paroisse pour courir le monde allait retrouver sur les rives des grands lacs, du Mississipi ou de la rivière Rouge d’autres contrées canadiennes, et c’est ce qui imprime aux récits anciens ce charme particulier à l’histoire du Canada. Dans les vastes territoires découverts par nos pères règne à présent une autre race. Pour nous l’intérêt immédiat n’existe plus que dans la province de Québec, soit dans la politique locale. Cela dure depuis cinq quarts de siècle,

Bibaud et Perreault avaient à peine effleuré l’époque du régime anglais avant que Garneau (1845) n’eut amené son récit, avec un courage tout patriotique, jusqu’à l’union des Canadas (1840). Ferland, qui le suivit, mais de bien loin, s’arrêta, à 1760 et encore son dernier volume ne nous apprend rien de nouveau. Faillon n’a guère dépassé l’année 1675. Charlevoix, Faillon, Ferland ont écrit pour faire l’éloge du clergé ; Bibaud était bureaucrate ; Perreault s’est borné à mettre bout à bout un certain nombre de faits ; Garneau seul a le caractère d’un historien national — pour cela il est dénoncé par l’école toute puissante qui fait la pluie et le beau temps dans le Bas-Canada. À part le livre de cet écrivain, nous avons une foule d’œuvres plus ou moins élaborées qui se rapportent à divers points de notre histoire, et c’est ce qui nous permet de dire que les grandes lignes sont aujourd’hui suffisamment connues. Quant à nous, notre prétention n’a pas été, on le sait, de raconter l’histoire du Canada ; nous avons cru devoir nous attacher uniquement aux premiers colons du pays et traverser avec leurs descendants la succession de jours et d’années qui nous sépare des origines de la colonie. Cette tâche a été environnée des difficultés ordinaires dont la principale est bien le manque de loisirs ; de là surtout les imperfections d’un travail qui néanmoins, nous en sommes persuadés, sera utile aux Canadiens.

D’ici à longtemps, la province de Québec sera notre château-fort, le terrain vers lequel se concentreront nos moyens de défense — de défense, car étant moins nombreux que les autres races, l’appréhension du danger doit être pour nous chose naturelle. D’ici à longtemps, le Canada agrandi, comme il l’est depuis 1867, absorbera la renommée ancienne de la province française, mais non pas son existence, non pas sa volonté. Nous maintenir tels que nous sommes est un problème dont la solution dépend de nous, ce qui veut dire que nous ne périrons pas sans le vouloir. Étendre notre influence, en procédant par la force d’expansion, est très possible. Cela peut arriver sans beaucoup d’effort, comme se sont produits nos mouvements dans les cantons de l’est, notre descente le long du chemin de fer In-