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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

nous administrons sous un compromis — chacun y a mis du sien — personne ne songe à briser l’arrangement. L’imprévu est prévu. En toute circonstance il y a moyen d’en appeler au sens politique de nos représentants — et ceux-ci n’ont pas besoin de révolutionner le pays pour produire des modifications acceptables. Il n’est pas même possible qu’un parti domine en Canada par ses seules idées, il faut qu’il tienne compte du programme de ses adversaires : voyez les conservateurs, ils ont emprunté aux libéraux plusieurs mesures et les ont fait admettre comme leur conception propre. C’est un jeu d’adresse : le pays ne s’en porte pas plus mal.

Quant à savoir si nous deviendrons tout à fait républicains ou absolument monarchistes, c’est une question hors de propos. Ceux qui nous succéderons n’auront pas de compte à nous rendre.

Les auteurs de constitutions politiques puisent leurs renseignements à deux sources qui se nomment l’expérience du passé et du présent. Comme il leur est impossible de prévoir au juste l’avenir, leur dictée est rarement suivie au pied de la lettre. Ce qui se met sur le papier, pour le gouvernement des peuples a beau être à la fois savant et sage, toujours la marche des idées dérange en certaines parties l’ordonnance et l’application du plan. C’est ce qui nous est arrivé après 1791, après 1840, après 1867, dates de nos constitutions. Les hommes d’État, les politiques, les écrivains en sont réduits à se poser sans fin cette question de la mère de famille penchée sur le berceau de son fils : « Que pensez-vous que sera cet enfant ? »

On nous demande aujourd’hui : 1o s’il est avantageux pour l’empire britannique que ses différents groupes de colonies se forment en confédérations, à l’instar du Canada ; 2o Si la confédération canadienne se maintiendra et, en ce cas, quel avenir lui est réservé.

Sur le premier point, nous serons bref. Reconnaissons d’abord que le temps n’est plus où les mère-patries pouvaient diriger du doigt leurs « plantations ». Un immense élan intellectuel s’est produit dans ce siècle sur tous les points du globe où flotte le drapeau anglais : des nationalités ont surgi : et elles doivent vivre : il faut les respecter. Si l’Angleterre les gêne, elles briseront tout lien de parenté et renouvelleront l’histoire des États-Unis. Il est donc de l’intérêt de l’empire que ces gouvernements coloniaux ne le traitent pas comme un aïeul atrabilaire ou tombé en enfance et que l’on frappe l’interdiction légale, dans l’intérêt de tous. La prudence dicte dans cette affaire une ligne de conduite parfaitement définie, et la plus profitable à la Grande-Bretagne, puisque toute tentative de molestation de sa part amènerait le relâchement des amitiés existantes. Traitées avec mesure, les colonies seront fières de prendre rang dans l’empire ; la reconnaissance les retiendra plus sûrement que tous les calculs de l’égoïsme métropolitain. Dans ces conditions, le monde assisterait au phénomène de cinq ou six peuples divers dont les sentiments, les actions, les traditions historiques les plus vénérées tendraient constamment au développement et à la gloire du nom anglais. Ce serait le plus noble spectacle qui se soit vu sur le globe. Les hommes illustres de l’Angleterre se recruteraient ainsi à la Nouvelle-Zélande, en Afrique, en Australie, en Canada, tout comme dans les Trois-Royaumes.