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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

de quatre grandes colonnes cylindriques et massives d’un seul bloc, de certain porphire de Canada, noir comme jais, sans taches et sans filets. Leur maison est commode en toute manière, car il y a beaucoup de logement. Ces pères ont de beaux jardins, plusieurs allées d’arbres si touffus, qu’il semble en été qu’on soit dans une glacière plutôt que sous un berceau. À propos de glacière, c’est une précaution qui ne leur manque pas ; ils en ont plutôt trois qu’une, et ils ont grand soin de les bien remplir[1] Leur collége est une pépinière fort déserte ; je ne crois pas qu’ils aient jamais eu cinquante écoliers. La troisième église, si pourtant ce nom convient à une petite chapelle, est celle des récollets. Ces bons religieux demeuraient, il y a dix ans, dans un hospice que monsieur de Laval, notre évêque, leur fit bâtir… La quatrième est celle des ursulines, qui a été brûlée et rebâtie deux ou trois fois de mieux en mieux. La cinquième est celle des hospitalières, qui ont un soin très particulier des malades, quoique ces religieuses soient pauvres et mal logées. »

Charlevoix parle ainsi des québecquois, en 1720 : « On ne compte guère à Québec que sept mille âmes[2], mais on y trouve un petit monde choisi, où il ne manque rien de ce qui peut former une société agréable. Un gouverneur-général[3], avec un état-major, de la noblesse, des officiers et des troupes ; un intendant[4], avec un Conseil Supérieur et les juridictions subalternes ; un commissaire de marine[5], un grand-prévôt[6] et un grand-maître des eaux et forêts[7], dont la juridiction est assurément la plus étendue de l’univers ; des marchands aisés, ou qui vivent comme s’ils l’étaient ; un évêque et un séminaire nombreux ; des récollets et des jésuites, trois communautés de filles, bien composées ; des cercles aussi brillants qu’il y en ait ailleurs, chez la gouvernante et chez l’intendante — voilà, ce me semble, de quoi passer le temps fort agréablement. Ainsi fait-on, et chacun y contribue de son mieux. On joue ; on fait des parties de promenades, l’été en calèche ou en canot, l’hiver en traîne sur la neige ou en patins sur la glace. On chasse beaucoup. Quantité de gentilshommes n’ont guère que cette ressource pour vivre à leur aise. Les nouvelles courantes se réduisent à bien peu de choses, parce que le pays n’en fournit presque point et que celles de l’Europe arrivent toutes à la fois, mais elles occupent une bonne partie de l’année : on politique sur le passé, on conjecture sur l’avenir ; les sciences et les beaux-arts ont leur tour, et la conversation ne tombe point. » LeBeau vient à son tour (1729) avec quelques bouts de descriptions : « Cette ville paraît peut-être plus éloignée de France aux vaisseaux qui y viennent, car leur traversée dure ordinairement sept à huit semaines… Les marchands demeurent dans la basse-ville, pour la commodité du port. Quelques-unes de leurs maisons ont trois étages, mais ne sont point belles selon mon goût, n’étant bâties que de vilaines pierres noires tirées des rochers qui se trouvent sur le bord du fleuve Saint-Laurent ; elles ne sont couvertes que de planches et sont sans symétrie. Ces maisons sont au pied d’une montagne sur laquelle est bâti le fort, autrement dit la maison du gouverneur-

  1. . En Canada, ce luxe ne coûte à peu près rien. L’historien Michelet, après avoir lu La Hontan, s’extasie sur les glacières des jésuites, et y trouve beaucoup à redire !
  2. Loin de diminuer durant les guerres de 1681 à 1713, la population du gouvernement de Québec s’était augmentée.
  3. Le marquis de Vaudreuil.
  4. M. Bégon.
  5. M. de Clérambaut d’Aigremont.
  6. M. Denys de Saint-Simon.
  7. Le baron de Bécancour.