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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Canada, à passer ces cent cinquante hommes, et donner cinquante livres pour chacun à leur arrivée. Dans la colonie on les distribuerait aux habitants, pour les faire travailler comme engagés, et cela pendant trois ans, après quoi ils seraient libres, sans toutefois pouvoir retourner en France ; et pour les mettre en état de faire quelque chose, on pourrait mettre entre les mains de leurs maîtres les cent livres restant de la somme de cent cinquante livres fournies par les fermiers-généraux, et obliger ces maîtres à leur donner cinquante écus après les trois années de service. Les habitants se trouveraient très heureux d’avoir des hommes à ces conditions, et cela serait insensiblement une augmentation d’hommes, accoutumés au travail. » Les marchands de la Rochelle offrirent (1717) de transporter les faux-sauniers à raison de cinquante livres par tête, mais dit M. Déping, Vaudreuil fut blâmé par les habitants et rien ne se fit. Enfin, en 1722, on nous envoya cinquante prisonniers dont les uns furent incorporés dans les troupes et les autres répartis dans les campagnes à divers titres, mais, écrit M. Rameau, « au bout de peu de temps, leur présence donna lieu à de tels inconvénients, que les réclamations unanimes de l’évêque, du gouverneur, de l’intendant, s’élevèrent, en 1725, contre cette dangereuse immigration. À la suite de ces remontrances, la transportation fut arrêtée, ou tout au moins profondément modifiée[1], car on conserva longtemps encore l’usage de diriger tantôt sur le Canada, tantôt sur les autres colonies, les jeunes vauriens en faveur desquels les familles bourgeoises et même celles de qualité, obtenaient des lettres de cachet. Un de ces jeunes débauchés, le sieur Lebeau, fils d’un bon bourgeois de Paris, nous a conservé la relation de son exil et de ses aventures. Ce Lebeau fut placé comme commis, et sur quelque méfait qui lui advint, il prit la fuite, vécut quelque temps parmi les sauvages, puis passa dans les colonies anglaises, d’où il revint en Europe et publia ses aventures, qui ne laissent pas que d’être curieuses, quoique devant être consultées avec réserve. »

M. l’abbé de La Tour, né en 1700, venu à Québec en 1729, reparti en 1731, nous a laissé une phrase qui rappelle M. de Meulles. Selon lui, le Canada se composait « d’une foule d’aventuriers, ramassés au hasard en France, presque tous de la lie du peuple, la plupart obérés de dettes et de crimes. » L’exagération poussée à ce point se passe de critique. En admettant que, de 1722 à 1731, on nous eût envoyé cent vagabonds par année, ce qui est un gros chiffre, cela n’aurait fait que huit ou neuf cents individus sur une population de plus de trente mille âmes, population dont l’immense majorité remontait à trois quarts de siècle et avait un passé sans tache.

Peter Kalm écrivait ceci, en 1749 : « Il vient chaque année en Canada, un ou deux vaisseaux du roi, amenant des recrues pour remplacer les soldats morts au service, ceux qui ont obtenu la permission de s’établir comme colons dans le pays, ou qui s’en retournent en France après avoir fini leur temps. Le nombre de ces recrues est actuellement de cent à cent cinquante, sans compter les contrebandiers, dont on envoie un bon nombre en même

  1. En 1739 et 1742, les faux-sauniers et les contrebandiers désertaient aux Anglais. (Voir Édits et Ordonnances, I, 560).