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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

qu’on a su gagner leur estime. » Plus tard, M. de Vaudreuil, deuxième gouverneur de ce nom, rendait témoignage en ces termes devant une commission royale : « En général, les Canadiens semblent être nés soldats ; une éducation mâle et toute militaire les endurcit de bonne heure à la fatigue et au danger. Le détail de leurs expéditions, de leurs voyages, de leurs entreprises, de leurs négociations avec les naturels du pays, offre des miracles de courage, d’activité, de patience dans la disette, de sang-froid dans le péril, de docilités aux ordres des généraux, qui ont coûté la vie à plusieurs sans jamais ralentir le zèle des autres. Ces commandants intrépides, avec une poignée de Canadiens et quelques sauvages, ont souvent déconcerté les projets, ruiné les préparatifs, ravagé les provinces et battu les troupes des Anglais huit à dix fois plus nombreuses que leurs détachements. »

La guerre était virtuellement terminée en Amérique dès 1711, mais en Europe la France subissait échec sur échec ; lorsque la paix d’Utrecht (1713) mit fin à cette longue et sanglante querelle, l’Angleterre reçut l’Acadie, Terreneuve et la baie d’Hudson pour sa part de bénéfice. La puissance française ne s’est pas relevée en Amérique depuis ce moment ; elle n’a fait que décroître et tâtonner, tandis que les Anglais, devenus plus clairvoyants, s’appliquaient à se fortifier et à s’étendre. Les exemples de courage et de patriotisme que les Canadiens avaient donnés à la mère-patrie ne servirent qu’à persuader aux ministres que le Canada pouvait se défendre lui-même. Le développement des colonies anglaises n’ouvrit les yeux ni au souverain ni à ses conseillers. Lorsque mourut Louis XIV (1715) nous étions entrés dans le gouffre qui devait engloutir la Nouvelle-France.

Après les nombreux textes que nous avons cités pour démontrer les origines de la population canadienne, on s’étonne de lire dans une dépêche de M. de Meulles, en 1682 : « Le vice a obligé la plupart de chercher ce pays comme un asile pour se mettre à couvert de leurs crimes. » Le vindicatif intendant nous paraît avoir généralisé par trop quelques cas isolés qui avaient pu se produire. On ne voit pas de trace des gens dont il parle, et l’expression « la plupart » est manifestement une exagération, puisque « la plupart » des habitants du Canada à cette époque provenaient de sources bien connues et à l’abri du soupçon. D’ailleurs, il est temps de le dire, M. de Meulles poussait la haîne contre ceux qui lui déplaisaient jusqu’à écrire au ministre des choses qu’il savait être fausses. En comparant sa correspondance avec les faits bien constatés, nous l’avons pris en flagrant délit de mensonges. Il dit par exemple que Gaspard Boucher était cuisinier des jésuites — et cela afin de ravaler le fils, Pierre Boucher, qui ne s’en laissait pas imposer par l’intendant ; il écrit que la ville des Trois-Rivières ne renferme que sept ou huit misérables maisons — parcequ’il veut prendre le pas sur M. de Varennes, gouverneur de cette place ; il déclare que Nicolas Denys demande son pain dans les rues de Paris — pour empêcher le renouvellement de la commission de Denys de Fronsac. Or la vérité est que : Gaspard Boucher a été fermier des jésuites durant quelques années ; que la ville des Trois-Rivières renfermait trente-six bonnes maisons, et que Nicolas Denys était allé à Paris faire renouveler ses titres sur la baie de Saint-Laurent — et qu’il fut écouté. Toutes ces assertions inexactes sont contenues dans une seule dépêche de