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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

vont troquer leurs pelleteries à la Nouvelle-York, ils ont l’audace de taxer eux-mêmes les marchandises dont ils ont besoin lorsque les marchands les vendent trop cher. J’ai déjà dit plusieurs fois qu’ils ne les considèrent que par rapport au besoin qu’ils en ont ; qu’ils ne les traitent de frères et d’amis que par cette seule raison, et que si les Français leur donnaient à meilleur marché les nécessités de la vie, les armes et la munition, etc., ils n’iraient pas souvent aux colonies anglaises. Voilà une des principales affaires à quoi l’on devrait songer, car si cela était ils se donneraient bien garde d’insulter nos sauvages amis et alliés, non plus que nous. Les gouverneurs-généraux de Canada devraient employer les habiles gens du pays qui connaissent nos peuples confédérés, pour les obliger à vivre en bonne intelligence, sans se faire la guerre les uns aux autres, car la plupart des nations du sud se détruisent insensiblement, ce qui fait un vrai plaisir aux Iroquois. Il serait facile d’y mettre ordre en les menaçant de ne plus porter de marchandises à leurs villages. Il faudrait, outre cela, tâcher d’engager deux ou trois nations de demeurer ensemble, comme font les Outaouas et les Hurons ou les Sakis et les Poutéouatamis (appelés Puants). Si tous ces peuples, nos alliés, étaient d’accord et que leurs démêlés cessassent, ils ne s’occuperaient plus si ce n’est à chasser des castors, ce qui rendrait le commerce plus abondant ; et d’ailleurs, ils seraient en état de se liguer ensemble lorsque les Iroquois se mettraient en devoir d’attaquer les uns ou les autres. L’intérêt des Anglais est de leur persuader que les Français ne tendent qu’à les perdre ; qu’ils n’ont autre chose en vue que de les détruire lorsqu’ils en trouveront l’occasion ; que plus le Canada se peuplera et plus ils auront sujet de craindre ; qu’ils doivent bien se garder de faire aucun commerce avec eux, de peur d’être trahis par toutes sortes de voies ; qu’il est de la dernière importance de ne pas souffrir que le fort de Frontenac se rétablisse, non plus que les barques, puisqu’en vingt-quatre heures on pourrait faire des descentes au pied de leurs villages, pour enlever leurs vieillards, leurs femmes et leurs enfants pendant qu’ils seraient occupés à faire leurs chasses de castors durant l’hiver ; qu’il est de leur intérêt de leur faire la guerre de temps en temps, ravageant les côtes et les habitations de la tête[1] du pays, afin d’obliger les habitants d’abandonner le pays, et dégoûter en même temps ceux qui auraient envie de quitter la France, et qu’en temps de paix il leur est de conséquence d’arrêter les coureurs de bois aux cataractes[2] de la rivière des Outaouas pour confisquer leurs armes et munitions de guerre qu’ils portent aux sauvages des lacs. Il faudrait aussi que les Anglais engageassent les Tsonnontouans ou les Goyogouans à s’aller établir vers l’embouchure de la rivière de Condé, sur le bord du lac Érié, et qu’en même temps ils y construisent un fort et des barques longues ou brigantins. Ce poste serait le plus avantageux et le plus propre de tous ces pays-là, par une infinité de raisons que je suis obligé de taire. Outre ce fort, ils en devraient faire un autre à l’embouchure de la rivière des Français, alors il est constant qu’il serait de toute impossibilité aux coureurs de bois de jamais remettre le

  1. Gouvernement de Montréal.
  2. Le Long-Saut, la Chaudière, les Chats.