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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

chargent des pois lorsqu’ils sont à bon marché dans la colonie ; d’autres prennent des planches et des madriers. Il y en a qui vont charger du charbon de terre à l’île du Cap-Breton pour le porter ensuite aux îles de la Martinique et de la Guadeloupe, où il s’en consume beaucoup aux raffineries des sucres. Mais ceux qui sont recommandés aux principaux marchands du pays ou qui leur appartiennent, trouvent un bon fret de pelleteries, sur quoi ils profitent beaucoup. J’ai vu quelques navires, lesquels après avoir déchargé leurs marchandises à Québec, allaient à Plaisance (Terreneuve) charger des morues qu’on y achetait argent comptant. Il y a quelquefois à gagner, mais le plus souvent à perdre. Le sieur Samuel Bernon, de la Rochelle, est celui qui fait le plus grand commerce de ce pays-là. Il a des magasins à Québec d’où les marchands des autres villes tirent les marchandises qui leur conviennent. Ce n’est pas qu’il n’y ait des marchands assez riches et qui équipent en leur propre des vaisseaux qui vont et viennent de Canada en France. Ceux-ci ont leurs correspondants à la Rochelle qui envoient et reçoivent tous les ans les cargaisons de ces navires. Il n’y a d’autres différence entre les corsaires qui courent les mers, et les marchands de Canada, si ce n’est que les premiers s’enrichissent quelquefois tout d’un coup par une bonne prise, et que les derniers ne font leur fortune[1] qu’en cinq ou six ans de commerce sans exposer leurs vies. J’ai connu vingt petits merciers qui n’avaient que mille écus de capital, lorsque j’arrivai à Québec en 1683, qui, lorsque j’en suis parti[2], avaient profité de plus de douze mille écus. Il est sûr qu’ils gagnent cinquante pour cent sur toutes les marchandises en général, soit qu’ils les achètent à l’arrivée des vaisseaux ou qu’ils les fassent venir de France par commission, et il y a certaines galanteries, comme des rubans, des dentelles, des dorures, des tabatières, des montres, et mille autres bijoux ou quincailleries sur lesquelles ils profitent jusqu’à cent ou cent cinquante pour cent, tous frais faits. La barrique de vin de Bordeaux, contenant deux cent cinquante bouteilles, y vaut en temps de paix quarante[3] livres, monnaie de France, ou environ, et soixante en temps de guerre ; celle d’eau-de-vie de Nantes ou de Bayonne quatre-vingts ou cent livres. La bouteille de vin dans les cabarets vaut six sols de France, et celle d’eau-de-vie vingt sols. À l’égard des marchandises sèches[4], elles valent tantôt plus, tantôt moins. Le tabac de Brézil vaut quarante sols la livre en détail, et trente-cinq en gros, et le sucre vingt sols pour le moins, et quelquefois vingt-cinq ou trente. Les premiers vaisseaux partent ordinairement de France à la fin d’avril ou au commencement de mai ; mais il me semble qu’ils feraient des traversées une fois plus courtes s’ils partaient à la mi-mars et qu’ils rangeassent ensuite les îles des Açores du côté du nord, car les vents du sud et du sud-est règnent ordinairement en ces parages depuis le commencement d’avril jusqu’à la fin de mai. J’en ai parlé souvent aux meilleurs pilotes, mais ils disent que la crainte de certains rochers ne permet pas qu’on suive cette route. Cependant

  1. Les habitants et les sauvages étaient la source de ces fortunes.
  2. La Hontan visita le Mississipi en 1689. Durant son séjour dans la région des lacs (1687) il avait été fait lieutenant réformé. En 1693 il fut nommé garde-magasin, puis lieutenant de roi à Plaisance, poste qu’il occupa jusqu’en 1695.
  3. Avec quarante livres on achetait ce qui, de notre temps, se paie trente-cinq ou quarante piastres.
  4. On a appelé longtemps « rouenneries » les articles de cette classe, parce qu’ils nous venaient de Rouen. Les mots « marchandises sèches » sont en usage depuis quatre siècles. Les Anglais les ont traduits par Dry Goods.