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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

vers le couchant » figurait sur les cartes, mais les yeux ne se tournaient à l’ouest que pour voir le pays des Sioux, à une soixantaine de lieues du lac Supérieur. Le nord-ouest était demeuré totalement inconnu lorsque Robutel de la Noue fut envoyé à la baie du Tonnerre en 1717.

Néanmoins, en France et aussi en Canada, la pensée de ceux qui s’occupaient de découvertes, sous la régence (1715-1723) était toute à la recherche d’un passage allant d’un océan à l’autre par le nord du continent. Les projets, pétitions, mémoires et cartes affluaient sur la table du duc d’Orléans. D’excellentes choses étaient renfermées dans tout cela, sans doute, mais le régent aimait, comme Louis XIV, les découvertes toutes faites. Après beaucoup de discussions, le cabinet se ressentit de la lassitude du chef ; les ministres, qui paraissaient avoir pris feu au début de l’affaire, devinrent apathiques, et une fois replongés dans l’indifférence, ils profitèrent de la mort du régent (1723) pour abandonner au courage des Canadiens la tâche colossale d’ouvrir à la civilisation ces contrées immenses, trois fois plus étendues qu’on ne le supposait.

« En 1718, raconte M. Pierre Margry, un prêtre nommé Bobé, qui eut le mérite d’exciter fortement le régent et les ministres à la découverte de la mer de l’ouest, regardait comme une vaste terre l’espace comprise entre le détroit d’Uriez (en Asie) et la Nouvelle-France. Cet ecclésiastique, fort savant d’ailleurs, pensait que, si l’on marchait entre le 47e et le 70e dégré de latitude, on ne trouverait point la mer que l’on n’eût atteint le golfe d’Amur, lequel disait-il était formé par les terres du Japon, de la Tartarie et de la Bourbonie. Il appelait Bourbonie cette contrée imaginaire qui lui semblait joindre l’Amérique à l’Asie et par laquelle, selon lui, étaient passés les Tartares et les Israélites tartarisés après la dispersion de Salmanazar, comme le prouvait, ajoute-t-il, la figure des Sioux, qui ressemblait à celle des Tartares. Ces chimères d’un homme éclairé, accréditées chez d’autres qui ne l’étaient pas moins, faisaient souhaiter que la France placée à portée par sa possession du Canada, d’en reconnaître l’erreur, envoyât à travers l’Amérique du nord une expédition d’explorateurs qui dissiperaient les ténèbres restées sur le nord de ce continent. »

Le père Charlevoix arriva de France (1720) en partie dans le but de poursuivre ces études et de recueillir des renseignements, d’après lesquels on espérait pouvoir adopter une ligne de conduite en rapport avec cette entreprise. Il soumit (1723) deux projets, qui restèrent dans les cartons avec les autres. Voici comment il s’exprime dans son journal de voyage : « J’ai rencontré à la baie Verte quelques Sioux que j’ai fort questionnés sur les pays qui sont à l’ouest et au nord-ouest du Canada, et, quoique je sache qu’il ne faut pas toujours prendre à la lettre tout ce que disent les Sauvages, en comparant ce que ceux-ci m’ont rapporté avec ce que j’ai ouï dire à plusieurs autres, j’ai tout lieu de croire qu’il y a dans ce continent des Espagnols, ou d’autres colonies européennes, beaucoup plus au nord que ce que nous connaissons du Nouveau-Mexique et de la Californie, et qu’en remontant le Missouri, aussi loin qu’il est possible d’y naviguer, on trouve une grande rivière qui coule à l’ouest et se décharge dans la mer du sud. Indépendamment même de cette découverte