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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

et 10 août, accompagnés des volontaires canadiens, et allèrent construire les forts de Sorel et de Chambly. Au mois d’octobre, le fort Sainte-Thérèse fut élevé dans le voisinage de la ville de Saint-Jean aujourd’hui.

Le 19 août, M. de Salières, colonel du régiment de Carignan, arriva de France à Québec avec quatre autres compagnies. Le 20, quatre nouvelles compagnies débarquèrent au même endroit. En septembre, huit autres compagnies, avec M. de Courcelles, nommé gouverneur du pays, et M. Talon, intendant. Ces fonctionnaires amenaient aussi, dit Charlevoix, « un grand nombre de familles, quantité d’artisans, des engagés, les premiers chevaux[1] qu’on ait vus au Canada ; des bœufs, des moutons, en un mot une colonie plus considérable que celle qu’on venait renforcer. »

En octobre, la mère de l’Incarnation disait : « L’argent, qui était rare en ce pays, y est à présent fort commun, ces messieurs y en ayant apporté beaucoup. Ils payent en argent tout ce qu’ils achètent, tant pour leur nourriture que pour les autres nécessités, ce qui accommode beaucoup nos habitants… Les cent filles que le roi a envoyées cette année ne font que d’arriver et les voilà déjà quasi toutes pourvues. Il en enverra encore deux cents l’année prochaine, et encore d’autres, à proportion, les années suivantes. Il envoie aussi des hommes pour fournir aux mariages, et, cette année, il en est bien venu cinq cents, sans parler de ceux qui composent l’armée… On dit que le roi ne veut rien épargner pour peupler ce pays, y étant excité par ces seigneurs qui sont ici et qui trouvent le pays et le séjour ravissants en comparaison des îles de l’Amérique[2] d’où ils viennent, et où la chaleur est si extrême qu’à peine y peut-on vivre. Ce pays-là est riche à cause des sucres et du tabac que l’on en transporte, mais il n’y peut venir de blé ; leur pain est fait d’une certaine racine dont la nécessité les oblige de se nourrir. Mais ici les blés, les légumes et toutes sortes de grains croissent en abondance. La terre est une terre à froment, laquelle, plus on la découvre des bois, plus elle est fertile et abondante. Sa fertilité a bien paru cette année, parce que les farines de l’armée s’étant gâtées sur mer, il s’est trouvé ici des blés pour fournir à sa subsistance sans faire tort à la provision des habitants. »

Qu’on se reporte par la pensée aux événements de cette époque. La colonie périclitait. Les habitants, plus remplis du sentiment français que tous les cercles de Paris, se disaient depuis longtemps : « La France comprendra enfin que nous tenons ici comme des désespérés ; elle nous enverra des secours. » Aussi, lorsque les uniformes de Carignan se montrèrent dans les rues de Québec, quelle joie ce fut dans le pays ! Ils venaient donc, ces soldats tant promis ! La France se réveillait. Un roi comprenait son devoir. Des ministres (Colbert et Louvois) songeaient aux colonies — ces secondes Frances. Les enfants du pays saluaient avec enthousiasme les militaires et ceux qui les conduisaient. Chaque Canadien voulait être soldat. Le feu national, vivace et prompt, les poussait à la résistance contre les Iroquois. De suite,

  1. On en fit la distribution comme suit : une jument à MM. Talon, Saurel, Contrecœur, Saint-Ours, Varennes, Pezard, Repentigny et Le Ber ; deux à MM. Chambly et Lachesnay ; plus, un étalon à M. de Chambly.
  2. Cette expression, ainsi que plusieurs autres du même siècle, montrent que les Canadiens parlaient du reste de l’Amérique comme nos gens le font encore à présent : le Canada est le Canada ; les régions voisines, l’Amérique.