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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

reconnue car il ne tenait son poste que de son énergie et de son courage. Au milieu de ces perplexités on vit apparaître deux navires venant de Bordeaux au nom des Cent-Associés. Le capitaine Marot, de Saint-Jean-de-Luz, était porteur d’une lettre du sieur Jean Tuffet, l’un des associés, qui recommandait à Latour de bien garder son poste en attendant confirmation du roi, ce qui ne manquerait pas. La joie reparut au fort Saint-Louis. Les navires étaient chargés de mille choses nécessaires au commerce et à la vie de chaque jour. Il y avait des ouvriers et trois récollets qui s’occupèrent immédiatement des Français et des sauvages. On décida de rétablir le poste de la rivière Saint-Jean, dès l’année suivante si la France continuait ses secours.

Le premier soin du fils fut d’adresser une lettre à son père le priant de se joindre à lui et qu’il le protégerait ainsi que sa femme. Ils se présentèrent avec quatre domestiques, et on leur donna un logement particulier où ils purent vivre en paix, réfléchissant aux étranges événements qui venaient de se passer.

Les dramaturges inventent des situations propres à émouvoir les spectateurs, mais on trouve rarement dans l’Histoire une épisode aussi bien dessinée que celle dont nous venons de raconter les détails. Un poète de notre pays, M. Antoine Gérin-Lajoie, a su écrire sur ce sujet une tragédie qui fait honneur à son patriotisme. Le Jeune Latour a souvent été applaudi au théâtre et le sera chaque fois qu’on ramènera cette pièce devant le public. Dans l’une des scènes, faisant parler le confident de son héros, il s’écrie :

------« Mais d’où vient que cet homme
Que l’on vit autrefois dans le sénat de Rome,
Un poignard à la main, percer de vingt-trois coups
Le grand César son maître et le maître de tous ;
D’où vient que ce Brutus, meurtrier de son père,
Est célébré par Rome et par la terre entière ?
D’où vient que ses exploits en tous lieux sont chantés,
Qu’on le porte en triomphe au milieu des cités ?
Ah ! c’est qu’à son devoir il fut toujours fidèle ;
C’est que pour son pays, plein d’amour et de zèle,
De tout sacrifier il n’a pas hésité
Quand il vit qu’on voulait ravir sa liberté. »

Les Écossais n’avaient pas fait d’amis chez les sauvages, mais la présence de Claude de Latour empêcha d’abord les hostilités ; dès qu’il fut parti pour rejoindre son fils le Scotch Fort se trouva bloqué et ses habitants dans une situation lamentable. Les uns moururent du scorbut, d’autres, dit-on, se réfugièrent chez les puritains du Massachusetts. On affirme même qu’une seule famille échappa, par la protection des Français, et fut recueillie, deux ans après, lorsque le commandeur Razilly prit possession de la contrée. En 1685, dit M. Ferland, La Mothe-Cadillac rencontra, à Port-Royal, deux hommes de cette famille qui s’étaient faits catholiques et avaient épousé des Françaises. Leur mère, retirée à Boston, était âgée de quatre-vingt-dix ans.