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m’eût-elle distraite du froid, de la faim et de la misère ?

« Non, non, cette ironie est amère ; il n’est pas bien à moi de parler ainsi. Pourquoi cette douleur si profonde ? En quoi l’affection, l’estime, le respect d’Agricol pour moi sont-ils changés ? Je me plains… Et que serait-ce donc, grand Dieu ! si, comme cela se voit, hélas ! trop souvent, j’étais belle, aimante, dévouée, et qu’il m’eût préféré une femme moins belle, moins aimante, moins dévouée que moi ?… Ne serais-je pas mille fois encore plus malheureuse ? car je pourrais, car je devrais le blâmer… tandis que je ne puis lui en vouloir de n’avoir jamais songé à une union impossible à force de ridicule…

« Et l’eût-il voulu… est-ce que j’aurais jamais eu l’égoïsme d’y consentir ?…

« J’ai commencé à écrire bien des pages de ce journal comme j’ai commencé celles-ci… le cœur noyé d’amertume ; et presque toujours à mesure que je disais au papier ce que je n’aurais osé dire à personne… mon âme se calmait, puis la résignation arrivait… la résignation… ma sainte à moi, celle-là qui, souriant les yeux pleins de larmes, souffre, aime et n’espère jamais ! »

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