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ques moments de réveil, il m’avait semblé entendre bruire au loin la vie active et féconde, la vie laborieuse et libre, la vie d’affection, de famille… Oh ! comme alors je sentais le besoin de mouvement, de liberté, d’émotions nobles et chaleureuses ; là j’aurais du moins retrouvé la vie de l’âme qui me fuyait… Je vous le dis, mon père… en embrassant vos genoux, que j’inondais de larmes, la vie d’artisan ou de soldat, tout m’eût convenu… ce fut alors que vous m’apprîtes que ma mère adoptive, à qui je devais la vie, car elle m’avait trouvé mourant de misère… car, pauvre elle-même, elle m’avait donné la moitié du pain de son enfant… admirable sacrifice pour une mère… ce fut alors, reprit Gabriel en hésitant et en baissant les yeux, car il était de ces nobles natures qui rougissent et se sentent honteuses des infamies dont elles sont victimes, ce fut alors, mon père, reprit Gabriel après une nouvelle hésitation, que vous m’avez appris que ma mère adoptive n’avait qu’un but, qu’un désir, celui…

— Celui de vous voir entrer dans les ordres, mon cher fils, reprit le père d’Aigrigny, puisque cette pieuse et parfaite créature espérait qu’en faisant votre salut vous assuriez le sien ;… mais elle n’osait vous avouer sa pensée, craignant que vous ne vissiez un désir intéressé dans…