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Néanmoins, ce fut avec une sorte de froide réserve que mademoiselle de Cardoville continua cet entretien, commencé par elle avec autant de franchise que d’abandon et de sympathie.

Rodin s’aperçut de l’impression qu’il causait ; il s’y attendait : il ne se déconcerta donc pas le moins du monde lorsque mademoiselle de Cardoville lui dit en l’envisageant bien en face et attachant sur lui un regard perçant :

— Ah !… vous êtes M. Rodin… le secrétaire de M. l’abbé d’Aigrigny ?

— Dites ex-secrétaire, s’il vous plaît, ma chère demoiselle, répondit le jésuite ; car vous sentez bien que je ne remettrai jamais les pieds chez l’abbé d’Aigrigny… Je m’en suis fait un ennemi implacable, et je me trouve sur le pavé… Mais il n’importe… Qu’est-ce que je dis ? mais tant mieux, puisqu’à ce prix-là des méchants sont démasqués et d’honnêtes gens secourus.

Ces mots, dit très-simplement et très-dignement, ramenèrent la pitié au cœur d’Adrienne. Elle songea qu’après tout, ce pauvre vieux homme disait vrai. La haine de l’abbé d’Aigrigny ainsi dévoilée devait être inexorable, et, après tout, Rodin l’avait bravée pour faire une généreuse révélation.