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— Ma foi ! c’est tout au plus, et à vrai dire, je me suis toujours vue à peu près comme vous me voyez.

— Et les amoureux, mère Arsène ?

— Les amoureux ? ah bien oui ! d’abord j’étais laide, et puis j’étais trop bien préservée.

— Votre mère vous surveillait donc beaucoup ?

— Non, mademoiselle… mais j’étais attelée…

— Comment attelée ? s’écria Rose-Pompon ébahie en interrompant la fruitière.

— Oui, mademoiselle, attelée à un tonneau de porteur d’eau avec mon frère. Aussi, voyez-vous, quand nous avions tiré comme deux vrais chevaux pendant huit ou dix heures par jour, je n’avais guère le cœur de penser aux gaudrioles.

— Pauvre mère Arsène, quel rude métier ! dit Rose-Pompon avec intérêt.

— L’hiver surtout, dans les gelées… c’était le plus dur ;… moi et mon frère nous étions obligés de nous faire clouter à glace, à cause du verglas.

— Et une femme encore… faire ce métier-là !… ça fend le cœur… et on défend d’atteler les chiens[1] !… ajouta très-sensément Rose-Pompon.

  1. On sait qu’il y a en effet en France des ordonnances