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vague émotion de crainte ; car, jusqu’à son départ pour sa mission en Amérique, le père d’Aigrigny, entre les mains duquel il avait prêté les vœux formidables qui le liaient irrévocablement à la société de Jésus, le père d’Aigrigny avait exercé sur lui une de ces influences effrayantes qui, ne procédant que par le despotisme, la compression et l’intimidation, brisent toutes les forces vives de l’âme, et la laissent inerte, tremblante et terrifiée.

Les impressions de la première jeunesse sont ineffaçables, et c’était la première fois, depuis son retour d’Amérique, que Gabriel se retrouvait avec le père d’Aigrigny ; aussi, quoiqu’il ne sentît pas faillir la résolution qu’il avait prise, Gabriel regrettait de n’avoir pu, ainsi qu’il l’avait espéré, prendre de nouvelles forces dans un franc entretien avec Agricol et Dagobert.

Le père d’Aigrigny connaissait trop les hommes pour n’avoir pas remarqué l’émotion du jeune prêtre et ne s’être pas rendu compte de ce qui la causait. Cette impression lui parut d’un favorable augure ; il redoubla donc de séduction, de tendresse et d’aménité, se réservant, s’il le fallait, de prendre un autre masque. Il dit à Gabriel, en s’asseyant, pendant que celui-ci restait, ainsi que Rodin, respectueusement debout :