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Rien de plus hideux que cette chauve-souris monstrueuse, haute d’un pied, velue et fauve ; ses ailes noires et membraneuses, à demi étendues, avaient d’envergure le triple de sa hauteur. Ses pieds, palmés comme ceux des oiseaux aquatiques, étaient terminés par de fortes griffes. Deux yeux ronds et brillants luisaient au milieu de sa tête brune, surmontée d’oreilles rondes et transparentes.

Baboün-Knify avait à côté d’elle une sorte de petite cymbale de cuivre, qu’on faisait bruire en la frappant avec une racine ronde de palétuvier. À ses pieds était une boîte carrée en bois d’ajoupa couverte de signes cabalistiques. Au milieu de son couvercle, on voyait un trou rond, de deux pouces de diamètre et fermé par un grillage mobile.


Si votre cœur ne dément pas la volonté de la destinée, vous mettrez un bouquet dans ce vase.

Après être restée longtemps rêveuse, Baboün-Knify secoua tristement la tête, ouvrit la grille de la boîte, prit d’une main sa cymbale, de l’autre la racine de palétuvier, en frappa sur l’instrument quelques coups mesurés en cadence, disant à voix basse, Wannacoë ! Wannacoë !

Bientôt la tête plate d’un serpent noir et brillant comme l’ébène parut au dehors du trou, ses petits yeux, d’un rouge sombre et vitreux, s’attachèrent avec une sorte de complaisance sur sa maîtresse, qui continuait de faire retentir sa cymbale de cuivre…

Le serpent, sortant de deux pieds environ en dehors de sa boîte, se tenait dressé ; il semblait par le balancement de son corps marquer le plaisir qu’il éprouvait à entendre l’étrange musique de la sorcière.

Bientôt Baboün-Knify chanta doucement, avec un accent mélancolique, les paroles suivantes sur un air plaintif :

« Qui retrouvera l’enfant perdu ? Qui le retrouvera ? Hélas ! qui le rendra à sa mère éplorée… qui le lui rendra ? On entoure l’oppessaï[1] d’un cercle de charbons ardents, et elle le traverse pour courir à ses petits… qu’elle voit loin d’elle… Hélas… Hélas ! que n’ai-je aussi un cercle de charbons ardents à traverser pour pouvoir ensuite embrasser ma fille ? Où est mon enfant ? Où est-elle ? où est-elle ? où est-elle ? »

Le chant de l’Indienne fut interrompu par Zam-Zam, qui entra dans la cabane.

À sa vue, le serpent distendit la peau flexible et ridée qui surmontait ses yeux et parut irrité.

Le vampire agita ses ailes. La magicienne fit un signe de sa baguette ; le serpent rentra dans sa boîte, le vampire devint immobile.

Zam-Zam était un nègre Loango, de quarante ans environ, grand et robuste, au nez aplati, au front bas et déprimé, aux lèvres épaisses qui laissaient voir des dents blanches et limées en pointes aiguës, selon l’usage de ceux de sa tribu. Mode bizarre, qui donnait quelque chose de féroce à sa physionomie, déjà basse et farouche. Ses cheveux crépus tombaient sur son front, tressés en nombreuses nattes, au bout de chacune desquelles pendaient quelques grains de verroterie ; sa barbe épaisse, hérissée, lui descendait jusqu’au milieu de la poitrine ; il portait sur l’épaule gauche une longue pièce d’étoffe de coton bariolée de jaune et de rouge vif. Son caleçon blanc était serré autour de sa taille par un châle de l’Inde volé dans quelque habitation. Le nègre y avait suspendu un poignard à manche d’argent. Des bracelets de verroterie entouraient ses chevilles et ses poignets. Ses sandales de cuir s’attachaient à ses jambes musculeuses par des courroies de peau ; enfin, il portait au col une amulette renfermée dans un sachet fait de plumes d’oiseaux-mouches.


C’est la jeune fille sauvage aux yeux noirs, dit Hercule en s’arrêtant.

Intrépide, cruel, rusé, d’une infatigable activité, dominant les rebelles par son énergie, Zam-Zam était l’âme de l’insurrection et l’ennemi le plus redoutable que pût avoir la colonie.

Lorsqu’il entra dans la case de Baboün-Knify, le chef noir tressaillit et baissa respectueusement les yeux devant le regard sévère de la magicienne.

— Pourquoi entres-tu ici sans mon ordre ? lui dit-elle.

    cause pas la moindre douleur. Au moyen de cette ouverture, il suce le sang jusqu’à ce qu’il soit forcé de le dégorger ; il recommence ensuite à sucer et à regorger, tellement qu’il ne peut s’envoler que difficilement. (Stedman. — Voyage à Surinam, tome II. — Voir aussi Buffon, Hist. nat.)

  1. La sarigue.