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— Écoutez ! lui dis-je. La situation serait tout autre si vous aviez reçu votre brevet pour l’armée. À proprement parler, vous n’êtes pas encore un combattant ; moi, j’ai cessé d’en être un ; et je crois possible d’admettre que nous soyons, vis-à-vis l’un de l’autre, dans la situation de deux gentlemen ordinaires, situation où, comme vous savez, l’amitié a coutume de passer avant la loi. Mais remarquez bien que ce n’est là qu’un argument possible que je vous soumets ! Pour l’amour du ciel, ne vous imaginez pas que je veuille vous dicter une opinion ! Moi, si j’étais à votre place…

— Ah et que feriez-vous, si vous étiez à ma place ?

— Eh bien ! ma parole d’honneur, je ne sais pas ! répondis-je. Je crois bien que je ferais comme vous, j’hésiterais !

— Je vais vous dire une chose, fit-il. J’ai un parent, et ce que je voudrais savoir, c’est ce qu’il penserait. C’est le général Graham de Lynedoch, sir Thomas Graham. Je ne Le connais point personnellement, mais je crois bien que je l’admire autant que Dieu même.

— Vous ayez raison de l’admirer ! répondis-je. Je l’ai connu sur le champ de bataille, et j’ai eu l’occasion d’apprécier son mérite.

— Vraiment, vous l’avez connu ? s’écria le jeune homme. En ce cas, vous pouvez me comprendre. Je désire plaire à sir Thomas ; à ma place, que ferait-il ?

— Je puis, à ce sujet, vous raconter une histoire, et une vraie, lui dis-je ; cela se passait en Espagne, au combat de Chiclana, ou de Barossa, comme vous l’appelez. J’étais au 8e de ligne ; nous perdîmes l’aigle du premier bataillon : mais sa prise vous coûta cher. Nous avions repoussé déjà une vingtaine de charges, lorsqu’un de vos régiments s’avança à portée de nous, d’un pas lent mais sûr. En tête venait un officier à cheval, le chapeau en main, et se retournant sans cesse pour parler à ses hommes. Notre major éperonna son cheval et partit au galop, pour le sabrer ; mais, en apercevant un vieillard, de noble mine,