Page:Stevenson - Saint-Yves.djvu/60

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

camarades ; mais l’opération ne fit qu’augmenter ma frayeur. Impossible de savoir si j’étais près ou loin du pied du rocher, tandis que certainement je devais être tout près du bout de la corde ; et plus certainement encore j’étais arrivé au bout de mes forces. La tête commençait à me tourner ; j’éprouvais une tentation irrésistible de lâcher prise, me disant à la fois, par un prodige d’inconséquence, que je devais n’être plus qu’à quelques pieds du sol, et puis que j’en étais encore très éloigné, et que, de toute façon, ma vie était perdue. C’est au milieu de ces étranges pensées que, tout à coup, pour la seconde fois, je sentis mes pieds se poser sur un appui solide. Je tâtai autour de moi : c’était enfin le sol ! J’aurais volontiers pleuré tout haut. Je ne sentais plus mes bras, mon courage était entièrement épuisé ; sous le double effet de la longue tension et de la délivrance soudaine, mes jambes fléchirent sous moi et je roulai à terre.

Mais ce n’était pas le moment de m’abandonner. Par un vrai miracle, j’avais pu sortir vivant de la forteresse ; j’avais maintenant à en faire sortir mes camarades. La longueur de la corde dépassait d’environ une brasse la hauteur du rocher ; je pris l’extrémité libre et explorai soigneusement le sol autour de moi, pour découvrir un objet auquel la fixer. Mais en vain. Le sol était désert et pierreux, sans trace même d’un buisson de genêts.

« Allons ! me dis-je, voici une nouvelle épreuve qui commence. Je ne suis pas assez fort pour tenir cette corde tendue. Et, si je ne la tiens pas tendue, l’homme qui descendra après moi sera sûrement lancé contre le rocher. J’ai eu, moi, une chance extravagante, mais je ne vois aucune raison pour qu’il l’ait aussi. Et, s’il tombe, je ne vois pas non plus de raison pour que ce ne soit pas sur ma tête ! »

De l’endroit d’où j’étais, j’apercevais faiblement, à travers le brouillard, la lumière d’une des fenêtres de la prison ; j’avais ainsi la mesure de l’énorme hauteur que mon compagnon allait avoir à descendre, et du poids effrayant avec