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pas admettre m’écriai-je. M. Leclos est notre doyen et, comme tel, c’est lui qui devrait s’offrir le dernier. Nous allons simplement tirer au sort !

— Eh bien ! non ! dit alors un de nous. J’ai une autre idée. Il y a ici un homme qui doit une fière chandelle à ses camarades, pour la façon dont ils l’ont sauvé de la potence en gardant son secret. De plus, il est jeune, dégourdi, malin ; personne n’a plus de chance que lui de se tirer d’affaire. Je propose que Champdivers passe le premier ! »

J’avoue qu’il y eut une pause assez longue avant que l’homme ainsi désigné fît entendre sa voix. La proposition, avec tout ce qu’elle pouvait avoir de flatteur, ne me souriait qu’à demi. Et peut-être aurais-je refusé, ou, en tout cas, hésité encore plus longtemps, si le hasard n’avait amené, en cet instant, le passage d’une ronde. Pendant ce passage, et l’intervalle de silence qui l’accompagnait, un petit incident se produisit qui me glaça le sang. Il y avait dans notre chambrée un soldat nommé Clausel ; c’était un coquin accompli. Au contraire de Goguelat, dont il avait été souvent l’instigateur, il joignait à des sentiments grossiers le caractère le plus sombre et le plus haineux. On l’appelait parfois le « Général » ; ou parfois encore on le désignait par un autre nom, trop malsonnant pour que je me hasarde à le répéter ici. Or, pendant que nous nous tenions en silence, au passage de la ronde, cet homme me mit la main sur l’épaule, et sa voix me murmura dans l’oreille :

« Écoute bien, marquis ! Si tu ne marches pas le premier, je te fais pendre ! »

Dès que la ronde fut passée : « Certes, messieurs, dis-je, je m’engage à vous montrer le chemin, et bien volontiers. Mais, d’abord, il y a ici un chien que nous devons punir. M. Clausel, tout à l’heure, non seulement m’a insulté, mais a déshonoré l’armée française. Je ne veux pas le provoquer ; d’ailleurs ses paroles m’inspirent trop de dégoût pour que je me résigne à lever la main sur lui. Mais je le livre à votre mépris ! »