Page:Stevenson - Saint-Yves.djvu/331

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur le pont, pour dire adieu à mes compagnons et pour confier ma lettre à M. Sheepshanks, qui se proposait de rentrer de suite à Édimbourg. Bien affectueusement, je serrai les mains de Byfield. « Et si, par hasard, on cherchait à vous inquiéter pour votre part dans mon aventure, lui dis-je, vous pourriez, en dernier recours, vous adresser à un certain major Chevenix, caserné en ce moment au château d’Édimbourg : il connaît les faits ; et, en homme d’honneur, il ne saurait manquer de vous assister. » Quant à M. Sheepshanks, je ne puis dire à quel point son honnête visage rayonnait de bonheur : « Nous avons assisté là à une expérience mémorable ! répétait le petit homme. Je crois bien que je raconterai tout à ma femme, en rentrant : je ne puis pas la priver d’une histoire aussi émouvante ! »

Là-dessus le côtre s’éloigna, emportant mes deux compagnons. Le capitaine Colenso donna l’ordre du départ. Et la Lady Népean se mit lentement en marche, tandis que, debout sur le pont, j’essayais de me persuader que l’air frais allait me faire du bien.

Mais bientôt le capitaine Colenso s’aperçut de l’état pitoyable où je me trouvais. Il m’engagea à aller m’étendre en bas, sur ma couchette ; et, comme j’hésitais, il me prit doucement par le bras, comme un enfant capricieux, et m’aida à descendre. Un moment après j’étais allongé dans une étroite cabine, toute proche de celle où j’avais écrit ma lettre. Et je demanderai au lecteur de me laisser là seul, pendant les quarante-huit heures suivantes. Ce furent en vérité des heures lamentables, pour un homme aussi peu accoutumé que je l’étais à voyager en mer.

Peu à peu, l’appétit me revint, mais non pas encore ma gaîté naturelle. Les dames du bateau s’ingéniaient à me préparer de petits plats à mon goût ; les hommes m’aidaient à remonter sur le pont, et me saluaient toujours avec une sympathie pleine d’égards. Mais tout le monde conservait vis-à-vis de moi une taciturnité extraordinaire. Une brume de mystère continuait à entourer, à mes yeux, la Lady Népean et son équipage. Étendu au soleil sur le pont, je