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bras en l’air. De l’autre côté, la tête appuyée au rebord de la nacelle, Sheepshanks était assis, les yeux levés au ciel, la bouche ouverte, également ivre. Le whisky du prêteur sur gages avait produit son effet. Et, pour comble d’horreur, le Lunardi était transformé en glaçon ; tous ses cordages étaient recouverts d’une couche argentée. L’air était si froid que mes dents claquaient.

Heureusement je me rappelai le cordon que Byfield avait fait mine de vouloir tirer, pour faire descendre le ballon. Avant tout autre chose, je le saisis, le tirai, ouvris une soupape, et constatai, à mon extrême satisfaction, que le ballon redescendait rapidement : car je me trouvai bientôt plongé dans un nuage de brouillard. C’était ce nuage, sans doute, que nous avions traversé pendant mon sommeil, et dont l’humidité, déposée sur les cordages du ballon, s’était ensuite changée en des fourreaux de glace.

Et peu à peu, toujours sans remonter, le ballon sortit du brouillard, de telle sorte que je pus voir, à la lumière de la lune, le creux immense que formait la terre, sous nos pieds. De petits yeux de flamme, çà et là, semblaient s’ouvrir et se refermer sur nous ; des cheminées lançaient des jets soudains de fumée, parsemés d’étincelles. Je consultai la boussole : le courant nous conduisait au sud-ouest. Mais où pouvions-nous être ? Sheepshanks, à qui je le demandai, ne me répondit que par un sourire béat. Byfield ronflait de plus en plus fort.

Je tirai ma montre, que j’avais oublié de remonter. Les aiguilles s’étaient arrêtées à quatre heures et demie. J’en conclus que l’aube allait poindre bientôt. Nous flottions depuis dix-huit ou vingt heures ; et Byfield m’avait dit que notre vitesse était de trente milles à l’heure. Nous devions avoir franchi près de cinq cents milles.

Soudain, je découvris au-dessous de moi une longue raie d’argent, comme un ruban tiré à travers la nuit ; c’était la mer ! Et, en effet, je ne tardai pas à entendre le bruit sourd des vagues.