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— Je n’ai jamais essayé de l’y maintenir jusqu’au bout de sa force ; mais, si mes calculs sont justes, il peut flotter une vingtaine d’heures, mettons vingt-quatre au maximum !

— Eh bien ! nous allons en faire l’expérience ! Le courant, à ce que je vois, est toujours du nord-est ? Et notre hauteur ? »

Il consulta le baromètre.

« Un peu plus d’un mille ! »

Nous fûmes interrompus dans nos évaluations par la voix de Sheepshanks qui nous invitait à dîner avec lui. Aussitôt Byfield prit dans un coffre, un pâté de porc et une bouteille de sherry. Pour moi, soit par l’effet d’une dépression morale ou simplement du froid, je n’éprouvais pas d’autre désir que celui de dormir. Je me contraignis cependant à avaler quelques bouchées du pâté, je bus un demi-verre du whisky de Sheepshanks, et je m’étendis sous une pile de plaids. Byfield, plein de sollicitude, m’aida à m’installer. Et peut-être s’imagina-t-il lire, dans mes remerciements, une nuance de soupçon — qui, d’ailleurs, ne s’y trouvait point — car il crut devoir ajouter : « Vous pouvez avoir toute confiance en moi, monsieur Ducie ! » Je savais que je le pouvais ; et je commençais même à éprouver pour ce pauvre homme une vraie sympathie.

Je passai ainsi l’après-midi entière à dormir, avec toute sorte de rêves où mon cousin, Flora, et le petit Sheepshanks se mêlaient de la façon la plus fantastique. Tout à coup je fus réveillé par un bourdonnement dans les oreilles ; et je constatai que la tête me faisait mal, comme si mes tempes étaient percées de part en part. Je me secouai cependant du mieux que je pus et parvins à me redresser ; et le clair de lune, un clair de lune d’une transparence, d’une douceur, d’un éclat véritablement célestes, découvrit à mes yeux un spectacle beaucoup moins poétique.

Près de moi, ivre-mort, gisait l’aéronaute, pareil à une marionnette tout à coup renversée, avec les jambes et les