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Puis les grâces furent dites par le chapelain de l’Université, en un latin macaronique où je ne compris pas grand’chose, mais qui me parut bien être plus drôle que respectueux. Après quoi le Senatus Academicus se mit en devoir de dévorer un repas d’une simplicité touchante, en effet, sous les espèces d’un églefin bouilli à la moutarde, d’une tête de mouton, d’un hachis, et d’autres produits nationaux de la cuisine écossaise. Le repas fut arrosé de stout en bouteilles ; et, dès qu’on eut enlevé la nappe, apparurent des verres, de l’eau bouillante, du sucre et du whisky, pour la confection du grog.

J’avais mangé d’excellent appétit ; je fis honneur au grog, et pris une part si brillante au feu continu de grosses plaisanteries qui se poursuivait autour de moi que, avant la fin du dîner, je fus nommé par acclamation membre titulaire de l’Université de Cramond.

Je me rappelle que, un peu plus tard dans la soirée, je me trouvai occupé à chanter à mes compagnons des chansons françaises ; et puis que, sans doute à la suite de cet imprudent exploit, l’idée me vint que je ferais sagement de prendre congé « à l’anglaise » : chose d’ailleurs bien aisée, car personne n’était d’humeur à épier mes mouvements, ni même, je crois bien, à les remarquer.

Je me glissai donc hors de la chambre, toute vibrante des voix et des rires de ces savants et joyeux personnages. Et je respirai agréablement. J’avais passé là, au total, une après-midi et une soirée charmantes, et sans courir aucun risque. Mais, hélas ! lorsque je mis le nez à la cuisine, voilà que j’y aperçus mon valet, ivre comme un lord, assis sur le bord du buffet, et offrant un concert de flageolet à un auditoire de servantes de l’auberge et de garçons de charrue !

Je le précipitai brusquement de son estrade, lui mis son chapeau sur la tête, fourrai son flageolet dans ma poche, et me mis en route avec lui vers Édimbourg. Malheureusement ses membres étaient devenus en papier, et il avait l’esprit tout à fait perdu. J’étais forcé de le sou-