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un combat tout aussi sauvage que les batailles des bêtes ! Et cet homme, qui avait été toute sa vie une brute achevée, le voici qui mourait, en terre étrangère, de cette blessure sans nom ; le voici qui attendait la mort avec la bonne grâce héroïque d’un Bayard !

J’insistai pour que l’on appelât les gardiens et qu’on fît venir un médecin. « Peut-être parviendra-t-on à le sauver ! » criais-je en pleurant.

Mais le sergent-major me rappela notre promesse : « Si c’est vous qui aviez été atteint, dit-il, nous aurions eu à vous laisser là jusqu’au moment où la patrouille serait revenue et vous aurait ramassé. Il se trouve que la chance a tourné contre Goguelat. Le pauvre garçon doit se résigner comme vous auriez fait ! Allons, mon enfant, vite, dans votre lit ! »

Et, comme je résistais encore :

« Champdivers ! me dit-il, c’est de l’enfantillage ! vous me faites de la peine !

— Allons ! tout de suite sur vos paillasses, tas de fichus bougres ! dit Goguelat, en s’efforçant de rire pour nous rassurer. »

Chacun de nous revint donc vers son lit, dans les ténèbres, et feignit de dormir. La soirée n’était pas encore très avancée. La ville, à nos pieds, de très loin, nous envoyait un bruit confus de roues et de voix. Et bientôt le rideau des nuages se déchira, nous laissant voir, par les fenêtres de la chambrée, la foule des étoiles sur le fond bleu du ciel. Cependant le pauvre Goguelat gisait toujours au milieu de nous, et nous entendions que, par instants, il ne pouvait pas s’empêcher de pousser un grognement.

Puis nous entendîmes arriver la ronde. Peu à peu, nous l’entendîmes traverser la cour, dépasser les sentinelles, s’approcher de nous. Enfin, elle tourna le coin des remparts et s’offrit à nos yeux quatre soldats, précédés d’un caporal qui tenait une lanterne et l’agitait à droite et à gauche, de façon à en projeter la lumière dans tous les recoins.