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à demi tombés sur le siège, la voiture filant à un galop enragé, avec les secousses les plus folles ; et, au milieu de tout cela, Bellamy passant à la fois sa tête, son bras et son pistolet ! Il ne put les y laisser que pour une brève seconde, car son cheval courait plus vite encore que la chaise. Mais avant de se retirer, il laissa derrière lui la décharge de son pistolet. S’il l’a fait à dessein ou involontairement, je ne l’ai jamais su, ni peut-être lui non plus. Sans doute il aura simplement voulu nous menacer, dans l’espoir d’arrêter notre fuite. Mais le fait est que, simultanément, se produisirent le coup de feu et un cri terrifié de la jeune fille : après quoi le galant, sûr de l’avoir atteinte, se précipita en avant, tourna au premier coin, sauta par-dessus une haie et disparut dans la campagne.

Rowley s’apprêtait à le suivre ; mais je le retins, en songeant que c’était chose fort heureuse pour nous d’être débarrassés de M. Bellamy sans autres frais qu’une éraflure à mon poignet et un trou de balle dans un des panneaux de ma chaise. En conséquence, d’un pas plus modéré à présent, nous poursuivîmes notre route vers la maison de l’archi-doyen. La reconnaissance et l’admiration de la demoiselle avaient été portées à leur comble par cette scène dramatique et par ce qu’elle se plaisait à appeler « ma blessure ». Elle tint à la panser elle-même avec son mouchoir, qu’elle daigna même arroser de ses larmes. Je me serais volontiers épargné ce ridicule, et volontiers j’aurais plutôt recommandé à ses soins le revers de mon habit, que la balle avait troué en même temps que le panneau de la chaise ; mais j’eus peur de tout gâter par une réaction trop vive. D’avoir été délivré par un héros, d’avoir vu ce héros blessé pour elle et d’avoir pansé la blessure avec son mouchoir (que cette blessure ne parvenait pas même à tacher de sang), tout cela contribuait merveilleusement à lui faire reprendre ses esprits ; et je croyais déjà l’entendre raconter l’aventure aux autres demoiselles du pensionnat, dans le plus pur style des ténébreux romans de Mme Radcliffe.