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emporté toutes mes affaires, ici, dans la valise : une demi-douzaine de chemises et des bottes de rechange. Je suis tout prêt, monsieur ! Conduisez-moi, et vous verrez !

— En vérité, dis-je, je peux vous assurer que vous êtes bienvenu !

— Fort obligé, monsieur ! » répondit Rowley.

Il me regarda, à la lueur de la lanterne, avec un mélange enfantin de niaiserie et de triomphe qui réveilla ma conscience. Je compris que je ne pouvais pas laisser cet innocent s’engager à ma suite dans une longue série de difficultés et de dangers sans, tout au moins, le prévenir un peu, ce qui me parut une entreprise des plus délicates.

« Non, non, lui dis-je, vous croyez avoir fait votre choix, mais vous l’avez fait à l’aveugle et il faut que vous le fassiez de nouveau ! Le service du marquis est bon, et vous ne savez pas pour quel autre service vous l’abandonnez ! Vous vous imaginez que je suis un gentilhomme prospère, l’héritier de mon oncle, au seuil d’une grande fortune, et donc, — du point de vue d’un serviteur judicieux, — le parfait modèle d’un maître à qui s’attacher ? Eh bien ! mon garçon, je ne suis rien de pareil, rien de pareil ! »

Après, ces mots, je m’arrêtai et élevai la lanterne jusqu’au visage de Rowley. Il était là devant moi, brillamment illuminé sur le fond de la nuit impénétrable et de la neige tombante, comme changé en pierre, la bouche ouverte sur moi comme un tromblon de fusil. Jamais je n’avais vu un visage aussi prédestiné à l’étonnement ; et cela même me donna la tentation de l’étonner encore plus.

« Rien de pareil, Rowley ! repris-je d’un ton funèbre. Tout cela n’est qu’une apparence, une fausse apparence. Je suis un misérable, sans asile, traqué de toutes parts. Il n’y a personne dans toute l’Angleterre en qui je ne doive voir un ennemi. Dès cet instant je dois renoncer à mon nom, devenir anonyme, car mon nom est proscrit. Ma liberté, ma vie, ne tiennent qu’à un cheveu. La destinée