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c’est presque sur un ton de bonne humeur qu’il répondit :

« Allons, Romaine, ne jouons pas ce jeu stupide ! » — Il approcha une chaise et s’assit. — « J’entends bien que vous avez gagné une manche sur moi. Vous avez introduit ici votre soldat de Napoléon, et, je ne sais comment, vous êtes parvenu à le faire accueillir avec faveur. Je n’en veux pas d’autre preuve que les fonds dont je le trouve littéralement entouré : le pauvre jeune homme, je suppose, aura eu un accès de folie en se voyant pour la première fois à la tête de tant d’argent ! Vous avez une manche pour vous, dans le jeu ; mais la belle reste encore à jouer. Il y aura à soulever des questions d’influences illégitimes, de séquestration, et autres semblables ; j’ai déjà mes témoins. En mettant les choses au pis, je garde encore l’espoir de recouvrer mon bien et de vous ruiner.

— Vous ferez ce qu’il vous plaira ! interrompit Romaine. Mais, si vous voulez un bon avis, vous serez plus sage en vous tenant tranquille. Vous ne réussirez qu’à vous rendre ridicule, et puis aussi à perdre de l’argent, dont vous ne devez pas avoir plus qu’il ne vous faut !

— Hé, vous commettez la faute ordinaire, monsieur Romaine ! riposta Alain : vous dédaignez votre adversaire ! Considérez donc, je vous prie, combien je pourrais vous causer de désagréments, si je le jugeais bon ! Considérez la position de votre protégé : un prisonnier de guerre échappé de prison ! Mais je joue grand jeu. Je ne veux point profiter de ces petites chances ! »

À ces mots, Romaine et moi échangeâmes un regard de triomphe. Évidemment Alain n’avait encore aucune nouvelle de la capture de Clausel et de sa dénonciation. Aussitôt le notaire, relevé de sa plus grosse crainte, changea de tactique. De l’air le plus indifférent, il fourra dans sa poche le journal, qui était resté ouvert devant lui, sur la table.

« Je crois, monsieur, que vous vous faites quelque illusion ! reprit-il. Vous semblez supposer que j’essaie de jouer contre vous, de vous cacher le cours des choses. En