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— Oui, Votre Seigneurie répondit-il. Tout ira bien, j’en donne ma parole à Votre Seigneurie.

— Écoutez, monsieur Rowley, si cela ne vous dérange pas, je vous prierai, pour abréger, de ne pas faire allusion à ma seigneurie, dans l’intimité ! Appelez-moi simplement monsieur Anne ! C’est ainsi que je préfère m’entendre nommer ! »

M. Rowley fit une mine gênée.

« Mais pourtant vous êtes aussi noble que le vicomte de M. Powl, n’est-ce pas ? me demanda-t-il.

— Que le vicomte de M. Powl ? repris-je en riant. Oh ! vous pouvez vous rassurer : le comte de M. Rowley vaut pour le moins autant. Mais je vous garantis qu’en m’appelant monsieur Anne vous ne manquerez pas à la correction !

— Bien, monsieur Anne ! dit le docile jeune homme. Mais pour ce qui est de votre barbe, monsieur Anne, vous n’avez pas à vous inquiéter ! M. Powl dit que j’ai d’excellentes dispositions.

— Et ce M. Powl est le valet du vicomte ?

— Oui, monsieur Anne ! répondit-il. Un dur service, en vérité ! Le vicomte est une personne bien exigeante. Je ne crois pas que vous soyez comme lui, sous ce rapport, monsieur Anne ! » ajouta-t-il, avec un sourire de confidence dans la direction du miroir.

Rowley avait environ seize ans, était solidement bâti, avec un visage plaisant et gai, et une paire d’yeux sans cesse en mouvement. Il y avait dans toute sa figure quelque chose à la fois de respectueux et d’insinuant que je croyais bien reconnaître. Et, à mesure que je le regardais, le souvenir me revint de certaines admirations passionnées que j’avais eues moi-même, dans mon enfance, pour des hommes qui m’apparaissaient comme des héros, des hommes que je rêvais de pouvoir suivre, et pour qui je me disais que je serais trop heureux de mourir.

Oui, il me sembla retrouver sur le visage de Rowley, tel que je le voyais dans la glace, quelque chose comme un écho ou un spectre de ma propre jeunesse.