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fil du récit. « Je ne sais pas ce que j’ai, dit-il, je m’embrouille ! » Et il reprit : « Enfin suffit : c’est l’empereur qui me l’a donnée, et puis que Berthe en a été bien contente ! » Ce résumé d’un long récit me frappa comme la chute du rideau, ou plutôt comme la clôture des portes du tombeau.

Le fait est que, peu d’instants plus tard, il tomba dans un doux sommeil d’enfant, qui se changea insensiblement en un sommeil de mort. Je le tenais dans mon bras, à cet instant, et je ne remarquai rien, si ce n’est un petit mouvement qu’il fit comme pour se tourner. Tant fut légère la fin de cette pauvre vie ! Ce ne fut qu’à la halte du soir que le major et moi découvrîmes que nous ne voyagions plus qu’avec son cadavre. Cette nuit-là, nous volâmes une bêche dans un champ ; et, un peu plus loin, dans un bois de jeunes chênes, pendant que King nous éclairait de sa lanterne, nous enterrâmes le vieux soldat de l’empire, avec des prières et des larmes.

Quant au major, il y a longtemps que j’ai achevé de lui pardonner. Ce fut lui qui se chargea de porter la triste nouvelle à la fille de notre vieil ami : j’ai su depuis qu’il l’avait fait avec beaucoup de bonté. Je crains bien que, s’il est resté tel que je l’ai connu, il n’ait un jour à passer par le purgatoire. Mais je suis certain qu’il y restera peu de temps ; et, comme je n’ai point grand éloge à faire de lui dans ce monde, je préfère supprimer son nom de mes souvenirs. Je supprime aussi le nom du colonel, à cause de sa parole rompue. Requiescat !