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« Y a-t-il quelqu’un, s’il vous plaît ? » demandai-je en riant.

Alors sortit du chariot le bruit assourdi d’un éternuement, qui fut suivi d’autres plus sonores, de toute une série. Et aussitôt le cocher se releva sur son siège, prit son fouet par le petit bout, et asséna aux chevaux un coup si violent que les pauvres bêtes retrouvèrent leur énergie, et que l’équipage descendit la route au galop.

Au premier bruit de l’éternuement, j’avais reculé comme sous un coup de poing. Et tout de suite une grande lumière s’était faite en moi, et j’avais compris. C’était là le secret du commerce de Fenn ! Voilà comment il facilitait l’évasion des prisonniers, en les traînant la nuit par les campagnes, dans son chariot couvert ! Il y avait eu des Français, tout près de moi ! Celui qui avait éternué était un compatriote, un camarade, peut-être un ami !

Je me mis à courir à la poursuite du chariot. Je criais :

« Hé là ! arrêtez ! arrêtez donc ! » Mais le cocher, après avoir retourné vers moi son visage blême de peur, redoublait ses efforts, penché en avant, accablant ses chevaux de coups de fouet et d’invectives furieuses ; les chevaux allongeaient bravement leur galop, et le chariot bondissait à leur suite, parmi les ornières, volait dans un halo de pluie et de boue jaillissante.

Je ne pus que le suivre de loin, en courant de toutes mes forces. Bientôt le chariot s’écarta de la grand’route pour prendre un sentier planté d’arbres sans feuilles ; et, un instant après, je le perdis de vue. Quand je l’aperçus de nouveau, je constatai à mon grand soulagement que les bêtes s’étaient remises au pas, toutes boiteuses. À présent je pouvais être sûr que le chariot ne m’échapperait plus !

Le sentier aboutissait à une porte, au delà de laquelle, dans une cour couverte de gravier, se dressait une maison de briques rouges, vieille d’une centaine d’années, et dont le joli style contrastait avec un état de délabrement des plus accentués. C’était là, sans aucun doute, un ancien manoir déchu et devenu désormais la résidence d’un fer-