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DE L’AMOUR ET DE LA POLITIQUE

petit royaume pour rire ; la pensée que l’on pût croire que je prenais au sérieux une chose si manifestement absurde m’était insupportable. Je ne voulais donc rien faire qu’il ne fût possible de faire en souriant… Que diable, j’ai le sens du ridicule ! Il me fallait faire preuve de plus de sagesse que Celui qui m’a créé. Et ce fut de même dans mon mariage, ajouta-t-il, d’une voix plus voilée. Je ne pouvais croire que cette jeune fille pût m’aimer : je ne voulais pas être de trop ; il me fallait sauvegarder la fatuité de mon indifférence. Quel tableau de faiblesses !

— Allons, nous sommes bien du même sang, moralisa Gotthold. Tu dépeins à grands traits le caractère du vrai sceptique.

— Sceptique ? Poltron plutôt ! s’écria Othon ; un misérable poltron sans nerfs, sans cœur !

Et comme le prince lançait ces paroles par saccades et sur un ton d’énergie inusitée, un vieux monsieur, court et gras, ouvrant en ce moment la porte derrière le fauteuil de Gotthold, les reçut en pleine figure. L’espèce de bec de perroquet qui lui servait de nez, sa bouche en cœur, ses petits yeux à fleur de tête en faisaient l’image vivante du formalisme ; et dans les circonstances ordinaires de la vie, quand il se dandinait à l’abri de son abdomen rebondi, il frappait le spectateur par un certain air de sagesse et de dignité glaciales. Mais à la moindre contrariété, le tremblement de ses mains, l’égarement de ses gestes trahissaient une faiblesse radicale. En ce moment, à la surprenante réception qu’il rencontrait à son entrée dans cette bibliothèque du palais de Mittwalden, retraite si