Page:Stevenson - Le Roman du prince Othon.djvu/251

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
235
HEUREUSE INFORTUNE

branches crochues la happaient au passage, l’obscurité s’animait et se peuplait de formes et de figures étranges. Elle étouffait, et continuait à fuir devant ses craintes. Et pourtant, dans son dernier réduit, la raison, déchirée par ces bourrasques de terreur, brillait encore, quoique d’une lumière agitée. Elle comprenait, mais sans pouvoir agir en conséquence ; elle comprenait qu’il faudrait bien s’arrêter, et néanmoins elle courait toujours.

La folie n’était pas bien loin, quand elle se trouva soudain dans une étroite clairière ; en même temps les sons d’alentour devinrent plus bruyants, et elle eut conscience de certaines formes vagues, de certains espaces blanchâtres, et à cet instant le sol parut s’effondrer. Elle tomba ; avec un choc extraordinaire de tous ses sens elle se remit debout, puis perdit connaissance.

Quand elle revint à elle, elle se trouva plongée jusqu’à mi-jambe dans l’onde glaciale d’un ruisseau, la main appuyée contre le rocher d’où l’eau se précipitait ; ses cheveux étaient trempés par les gouttelettes. Elle vit la cascade blanche, les étoiles qui tremblotaient dans le bouillonnement, l’écume jaillissante, et en haut, de chaque côté, les grands sapins s’abreuvant avec sérénité de la lumière des étoiles. Alors, soudainement tranquillisée, elle entendit avec joie le ferme plongeon de la petite cataracte dans son bassin.

Elle sortit en grimpant, toute ruisselante. C’eût été le suicide de la vie ou de la raison, que de s’aventurer de nouveau, en dépit d’une faiblesse si amplement prouvée, dans l’horreur noire du taillis. Mais là, dans l’allée de ce ruisseau, avec les étoiles