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LE ROMAN DU PRINCE OTHON

Dans le coin de montagne boisée renfermé entre ces deux chemins, les cors de chasse continuèrent toute la journée à semer le tumulte ; enfin, comme le soleil commençait à s’approcher de l’horizon, une sonnerie triomphale proclama la curée. Le premier et le second piqueur s’étaient retirés un peu à l’écart, et du haut d’une éminence promenaient leurs regards le long de l’épaule affaissée de la colline et sur l’espace libre de la plaine. De la main ils s’abritaient les yeux, car le soleil les frappait de face — la gloire de son coucher était un peu pâle ce soir-là. À travers la trame confuse des milliers de peupliers glabres, des volutes fumeuses se déroulant d’innombrables cheminées et des vapeurs du soir planant sur la campagne, les ailes d’un moulin-à-vent posé sur une légère élévation s’agitaient avec une netteté singulière — comme les oreilles d’un âne. Et tout près, semblable à une blessure ouverte, la grande route impériale, artère de voyage, courait droit au soleil couchant.

Il est un refrain de la Nature que personne n’a mis encore ni en paroles humaines ni en musique — on pourrait l’appeler L’Invitation du Grand Chemin. C’est cet air qui murmure sans cesse à l’oreille du bohémien ; c’est sous son inspiration que nos ancêtres nomades errèrent tout le cours de leur vie. La scène, l’heure, la saison, s’accordaient en harmonie délicate. L’air était peuplé d’oiseaux de passage — toute une armée de points noirs naviguant sur le ciel au dessus de Grunewald vers l’occident et le septentrion : et au dessous, la grande voie semblait faire signe de suivre la même direction.