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DE L’AMOUR ET DE LA POLITIQUE

mençaient à s’éclairer de lampes, quand la comtesse s’embarqua dans sa grande entreprise. Elle avait le cœur gai. Le plaisir et l’ardeur semblaient prêter des ailes à sa beauté, et elle le sentait. Elle fit halte devant la devanture scintillante du joaillier ; elle remarqua avec approbation certain costume à la fenêtre de la modiste ; et quand elle parvint à la promenade des Tilleuls, sous les arches ombragées, où se croisaient les promeneurs le long des allées obscures, elle fut s’asseoir sur un banc, et s’abandonna au plaisir du moment. Il faisait froid, mais elle n’en sentait rien, car elle avait chaud au cœur. Dans ce coin noir ses pensées brillaient vives comme l’or et les rubis du joaillier. Ses oreilles, écoutant vaguement, transposaient en musique le bruit de tous ces pas autour d’elle.

Qu’allait-elle faire ? Elle possédait ce papier qui était la clef de tout. Othon, Gondremark et Ratafia, l’État même, tremblaient dans sa balance, légers comme la poussière : le contact de son petit doigt, d’un côté ou de l’autre, suffisait pour la faire basculer ; et elle riait tout bas, en songeant à sa prépondérance écrasante, et tout haut à l’idée des folies innombrables auxquelles elle pourrait la faire servir. Le vertige de la toute-puissance, maladie des Césars, ébranla un instant sa raison : « Oh ! que le monde est fou ! » pensa-t-elle. Et de nouveau, grisée par son triomphe, elle éclata de rire.

Un enfant, le doigt dans la bouche, s’était arrêté à quelque distance de l’endroit où elle s’était assise, et regardait d’un air d’intérêt nébuleux cette