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DE L’AMOUR ET DE LA POLITIQUE

sorte de colère, et de la main frappa un buisson d’où s’éleva, pour disparaître en un clin d’œil, toute une nuée de moineaux réveillés en sursaut par le coup. Il les regarda avec hébétement et, quand ils furent partis, se mit à contempler les étoiles. « Je suis en colère. De quel droit ? d’aucun ? » pensa-t-il. Mais la colère n’en persistait pas moins. Il maudit Madame de Roseu, pour s’en repentir au même instant. Lourd était le poids de l’argent sur son épaule.

Quand il fut arrivé à la fontaine, poussé par la mauvaise humeur et l’esprit de fanfaronnade, il commit un acte impardonnable : il remit le sac d’argent au palefrenier déshonnête. « Gardez cela pour moi, lui dit-il, jusqu’à ce que je vous le redemande demain. C’est une forte somme. Vous voyez, par là, que je ne vous ai pas condamné. » Là-dessus il partit, la tête haute, gonflé de l’idée qu’il venait de faire là quelque chose de fort généreux. C’était un effort désespéré pour rentrer, à la pointe de la baïonnette pour ainsi dire, dans sa propre estime, et l’effort, comme tous ceux de ce genre, fut parfaitement stérile. Il eut cette nuit, on l’aurait juré, le diable pour camarade de lit ; il ne fit que sauter et se retourner jusqu’à l’aube, pour tomber alors inopportunément dans un sommeil de plomb d’où il ne se réveilla qu’à dix heures. Manquer après tout son rendez-vous avec le vieux Killian, c’eût été un dénouement par trop tragique : il fit toute la hâte possible, retrouva (par merveille) le palefrenier fidèle à sa charge, et entra, quelques minutes seulement avant midi, dans la chambre d’hôtes à l’Étoile du Matin.