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mon heure habituelle ; et je me serais peut-être laissé abuser sur le caractère de cet homme, n’eût été un incident où sa perfidie apparut en plein. Voici le fait ; et le lecteur en jugera par lui-même, d’après ce qu’il sait de la rencontre des deux frères. Mr. Henry était assis, un peu morne, en dépit de tous ses efforts pour garder les apparences, vis-à-vis de Mylord. Soudain, le Maître se lève, fait le tour de la table, et va frapper sur l’épaule de son frère.

– Allons, allons, Hairry mon garçon, dit-il, – avec le fort accent qu’ils devaient avoir entre eux dans leur enfance – il ne faut pas vous laisser abattre par l’arrivée de votre frère. Tout est à vous, c’est certain, et je ne vous chicanerai pas sur grand-chose. Vous ne devez pas non plus me chicaner ma place au foyer paternel.

– C’est trop juste, Henry, dit mon vieux lord, en fronçant un peu le sourcil, chose rare chez lui. Vous avez été le frère aîné de la parabole dans le bon sens ; ne le soyez pas dans l’autre.

– Je me laisse facilement induire en erreur, dit Mr. Henry.

– Qui vous induit en erreur ? s’écria Mylord, un peu rudement, me sembla-t-il, pour un homme si doux. Vous avez mérité ma reconnaissance et celle de votre frère, mille et mille fois ; vous pouvez compter sur sa durée ; et c’est assez.

– Sans nul doute, Harry, vous pouvez y compter, dit le Maître ; et je crus voir une lueur féroce dans le regard que lui lança Mr. Henry.

Concernant les malheureux épisodes qui vont suivre, il y a quatre questions que je me suis souvent posées à cette époque, et que je me pose toujours. – L’homme était-il mû par un ressentiment particulier envers Mr. Henry ? ou par ce qu’il croyait être son intérêt ? ou par ce simple goût de la cruauté que manifestent les chats et que les théologiens attribuent au diable ? ou par ce qu’il eût appelé de l’amour ?… Je m’en tiens le plus fréquemment aux trois premières hypothèses ; – mais il est possible que sa conduite participât de toutes