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Le jour vint, sans que Secundra pût être encore dissuadé de renoncer à ses vains efforts. Sir William, laissant une petite troupe sous mes ordres, repartit dès la première aube pour accomplir sa mission et toujours l’Indien frictionnait les membres du corps mort et lui insufflait son haleine dans la bouche. On eût pensé que de tels efforts devaient donner la vie à un marbre ; mais, sauf cet unique moment (qui fut celui de la mort de Mylord), le noir esprit du Maître se refusa à rentrer dans l’argile qu’il avait abandonnée ; et vers l’heure de midi enfin, le fidèle serviteur lui-même en fut convaincu. Il accepta la chose avec une quiétude égale.

– Trop froid, dit-il. Bon moyen dans l’Inde, pas bon ici.

Puis, ayant réclamé quelque nourriture, qu’il dévora en affamé sitôt placée devant lui, il s’approcha du feu et prit place à mon côté. En ce lieu même, dès qu’il eut fini de manger, il s’étendit de son long, et s’endormit d’un sommeil d’enfant, dont il me fallut le réveiller, quelques heures plus tard, afin qu’il assistât aux doubles funérailles. Il ne se départit pas de sa conduite ; il semblait avoir oublié sur l’instant, et du même effort, son chagrin envers son maître et la terreur que Mountain et moi lui inspirions.

Un des hommes laissés avec moi savait un peu tailler la pierre ; et avant que Sir William fût revenu nous prendre, je fis graver sur un bloc de rocher cette inscription, dont la copie viendra tout à point clore ma narration :

J. D.

HÉRITIER D’UN GRAND NOM D’ÉCOSSE,
MAÎTRE DES ARTS ET EN TALENTS,
ADMIRÉ EN EUROPE, ASIE, AMÉRIQUE,
EN GUERRE COMME EN PAIX,
SOUS LA TENTE DES CHASSEURS SAUVAGES
ET DANS LES FORTERESSES DES ROIS, APRÈS AVOIR TANT
ACQUIS, ACCOMPLI ET SOUFFERT,

GÎT ICI OUBLIÉ.