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je puis vous dire sans scrupule que Mylord n’est pas aussi fou qu’il le semble. C’est là une affaire singulière, dont vous subissez malheureusement le contrecoup.

– Je n’ai aucune envie de savoir vos secrets, répondit Sir William ; mais je serai clair, et vous avouerai, quitte à être impoli, que ma présente société me procure peu d’agrément.

– Je serai le dernier à vous le reprocher, dis-je.

– Je ne vous demande ni blâme, ni louange, monsieur, répliqua Sir William. Je désire seulement être débarrassé de vous ; et à cet effet, je mets un bateau avec son équipage à votre disposition.

– L’offre est honnête, dis-je, après avoir réfléchi. Mais vous me permettrez de dire un mot contre elle. Nous sommes positivement curieux d’apprendre la vérité sur cette affaire, je le suis moi-même ; Mylord (c’est bien évident) ne l’est que trop. Le retour de l’Indien est une véritable énigme.

– Je le crois, moi aussi, interrompit Sir William ; et je propose (puisque je vais dans cette direction) de la sonder à fond. Que l’homme soit ou non retourné pour mourir sur la tombe de son maître, comme un chien, sa vie, du moins, est en danger, et je me propose de la sauver, si possible. Il n’y a rien à dire contre lui ?

– Rien, Sir William.

– Et l’autre ? J’ai entendu Mylord, c’est vrai ; mais d’après la fidélité de son serviteur, je dois supposer qu’il avait quelques nobles vertus.

– Ne demandez pas cela ! m’écriai-je. L’enfer peut avoir de nobles flammes. Je l’ai connu depuis vingt ans, et je l’ai toujours haï, et toujours admiré, et toujours redouté servilement.

– Il me semble que je pénètre dans vos secrets, dit Sir William ; croyez-moi, c’est sans le vouloir. Il me suffit de voir cette tombe, et, si possible, de sauver l’Indien. À ces conditions, persuaderez-vous à votre maître de retourner à Albany ?

– Sir William, je vous dirai ce qui en est. Vous ne voyez pas Mylord à son avantage ; il peut même vous sembler bizarre que je l’aime tant ; mais je l’aime, et je