Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/250

Cette page n’a pas encore été corrigée

Mais ils furent plusieurs dans le camp (Mountain entre autres) que cette brutalité révolta. Ils auraient vu pistoleter le Maître, ou lui auraient eux-mêmes brûlé la cervelle, sans ressentir la moindre pitié ; mais ils semblaient impressionnés par sa vaillante lutte et sa défaite non équivoque du soir précédent ; peut-être aussi commençaient-ils déjà l’opposition à leur nouveau chef ; en tout cas, ils se hâtèrent de déclarer que (si l’homme était malade) il aurait un jour de repos, quoi qu’en pût dire Hastie.

Le lundi matin, il était manifestement plus mal, et Hastie lui-même commença de montrer quelque souci d’humanité, car ce simple simulacre de doctorat suffisait à éveiller sa sympathie. Le troisième jour, le Maître fit venir Mountain et Hastie sous sa tente, leur annonça qu’il allait dormir, leur donna tous les détails concernant la position de la cache, et les pria de se mettre aussitôt en quête. Ils pourraient voir ainsi qu’il ne les trompait pas, et, le cas échéant, il serait à même de corriger leur erreur.

Mais alors s’éleva une difficulté sur laquelle il comptait sans doute. Aucun de ces hommes ne se fiait aux autres, aucun ne consentirait à rester en arrière. D’autre part, encore que le Maître semblât extrêmement bas, que sa parole fût réduite à un murmure, et qu’il fût la plupart du temps sans connaissance, il se pouvait à la rigueur que sa maladie fût feinte ; et si tous partaient à la chasse au trésor, ils pourraient bien être partis « chasser l’oie sauvage », et trouver au retour leur prisonnier envolé. On résolut donc, invoquant la sympathie, de ne pas s’éloigner, et à coup sûr nos sentiments sont si complexes, que plusieurs étaient sincèrement (sinon profondément) affectés de voir ainsi en danger de mort l’homme qu’ils avaient froidement résolu d’assassiner. Dans l’après-midi, Hastie fut appelé auprès de sa couche pour prier ; ce qu’il fit (tout incroyable que cela puisse paraître) avec onction ; vers huit heures du soir, les lamentations de Secundra leur apprirent que tout était fini ; et avant dix, l’Indien, à la clarté d’une torche fichée dans le sol, se mettait à